vendredi 13 février 2015

Acte 3 - Scène 3

A room in the castle
Enter CLAUDIUS, ROSENCRANTZ, and GUILDENSTERN

CLAUDIUS — I like him not, nor stands it safe with us
To let his madness range. Therefore prepare you;
I your commission will forthwith dispatch,
And he to England shall along with you:
The terms of our estate may not endure
Hazard so dangerous as doth hourly grow
Out of his lunacies.

GUILDENSTERN — We will ourselves provide:
Most holy and religious fear it is
To keep those many many bodies safe
That live and feed upon your majesty.

ROSENCRANTZ — The single and peculiar life is bound,
With all the strength and armour of the mind,
To keep itself from noyance; but much more
That spirit upon whose weal depend and rest
The lives of many. The cease of majesty
Dies not alone; but, like a gulf, doth draw
What's near it with it: it is a massy wheel,
Fix'd on the summit of the highest mount,
To whose huge spokes ten thousand lesser things
Are mortised and adjoin'd; which, when it falls,
Each small annexment, petty consequence,
Attends the boisterous ruin. Never alone
Did the king sigh, but with a general groan.

CLAUDIUS — Arm you, I pray you, to this speedy voyage;
For we will fetters put upon this fear,
Which now goes too free-footed.

ROSENCRANTZ & GUILDENSTERN — We will haste us.

Exeunt ROSENCRANTZ and GUILDENSTERN

Enter POLONIUS

LORD POLONIUS — My lord, he's going to his mother's closet:
Behind the arras I'll convey myself,
To hear the process; and warrant she'll tax him home:
And, as you said, and wisely was it said,
'Tis meet that some more audience than a mother,
Since nature makes them partial, should o'erhear
The speech, of vantage. Fare you well, my liege:
I'll call upon you ere you go to bed,
And tell you what I know.

CLAUDIUS — Thanks, dear my lord.

Exit POLONIUS

O, my offence is rank it smells to heaven;
It hath the primal eldest curse upon't,
A brother's murder. Pray can I not,
Though inclination be as sharp as will:
My stronger guilt defeats my strong intent;
And, like a man to double business bound,
I stand in pause where I shall first begin,
And both neglect. What if this cursed hand
Were thicker than itself with brother's blood,
Is there not rain enough in the sweet heavens
To wash it white as snow? Whereto serves mercy
But to confront the visage of offence?
And what's in prayer but this two-fold force,
To be forestalled ere we come to fall,
Or pardon'd being down? Then I'll look up;
My fault is past. But, O, what form of prayer
Can serve my turn? 'Forgive me my foul murder'?
That cannot be; since I am still possess'd
Of those effects for which I did the murder,
My crown, mine own ambition and my queen.
May one be pardon'd and retain the offence?
In the corrupted currents of this world
Offence's gilded hand may shove by justice,
And oft 'tis seen the wicked prize itself
Buys out the law: but 'tis not so above;
There is no shuffling, there the action lies
In his true nature; and we ourselves compell'd,
Even to the teeth and forehead of our faults,
To give in evidence. What then? what rests?
Try what repentance can: what can it not?
Yet what can it when one can not repent?
O wretched state! O bosom black as death!
O limed soul, that, struggling to be free,
Art more engaged! Help, angels! Make assay!
Bow, stubborn knees; and, heart with strings of steel,
Be soft as sinews of the newborn babe!
All may be well.

Retires and kneels

Enter HAMLET

HAMLET — Now might I do it pat, now he is praying;
And now I'll do't. And so he goes to heaven;
And so am I revenged. That would be scann'd:
A villain kills my father; and for that,
I, his sole son, do this same villain send
To heaven.
O, this is hire and salary, not revenge.
He took my father grossly, full of bread;
With all his crimes broad blown, as flush as May;
And how his audit stands who knows save heaven?
But in our circumstance and course of thought,
'Tis heavy with him: and am I then revenged,
To take him in the purging of his soul,
When he is fit and season'd for his passage?
No!
Up, sword; and know thou a more horrid hent:
When he is drunk asleep, or in his rage,
Or in the incestuous pleasure of his bed;
At gaming, swearing, or about some act
That has no relish of salvation in't;
Then trip him, that his heels may kick at heaven,
And that his soul may be as damn'd and black
As hell, whereto it goes. My mother stays:
This physic but prolongs thy sickly days.

Exit

CLAUDIUS — (Rising) My words fly up, my thoughts remain below:
Words without thoughts never to heaven go.

Exit
      Une chambre dans le château
Entrent le Roi, Rosencrantz et Guildenstern

LE ROI — Je ne l’aime pas ; et puis il n’y a point de sûreté pour nous
à laisser sa folie errer. Donc, tenez-vous prêts ;
je vais sur-le-champ expédier votre commission,
et il partira avec vous pour l’Angleterre :
la sûreté de notre empire est incompatible
avec les périlleux hasards qui peuvent surgir à toute heure
de ses lunes.

GUILDENSTERN — Nous allons nous préparer.
C’est un scrupule religieux et sacré
de veiller au salut des innombrables existences
qui se nourrissent de la vie de votre majesté.

ROSENCRANTZ — Une existence isolée et particulière est tenue
de se couvrir de toute la puissante armure de l’âme
contre le malheur ; à plus forte raison
une vie au souffle de laquelle sont suspendues et liées
tant d’autres existences. Le décès d’une majesté
n’est pas la mort d’un seul : comme l’abîme, elle attire
à elle ce qui est près d’elle. C’est une roue colossale
fixée sur le sommet de la plus haute montagne,
et dont une myriade d’êtres subalternes, emboîtés et réunis,
forment les rayons gigantesques : quand elle tombe,
tous ces petits fragments, ces menus accessoires
sont entraînés dans sa ruine bruyante. Un roi ne rend jamais
le dernier soupir que dans le gémissement de tout un peuple.

LE ROI — Equipez-vous, je vous prie, pour ce pressant voyage
car nous voulons enchaîner cet épouvantail
qui va maintenant d’un pas trop libre.

ROSENCRANTZ & GUILDENSTERN — Nous allons nous hâter.

Sortent Rosencrantz et Guildenstern

Entre Polonius

POLONIUS — Monseigneur, il se rend dans le cabinet de sa mère ;
je vais me glisser derrière la tapisserie
pour écouter la conversation. Je garantis qu’elle va le tancer vertement ;
mais, comme vous l’avez dit, et dit très-sagement,
il est bon qu’une autre oreille que celle d’une mère
(car la nature rend les mères partiales) recueille
adroitement ses révélations. Adieu, mon suzerain.
J’irai vous voir avant que vous vous mettiez au lit,
pour vous dire ce que je saurai.

LE ROI — Merci, mon cher seigneur !

Sort Polonius

Oh ! ma faute fermente, elle infecte le ciel même ;
elle porte avec elle la première, la plus ancienne malédiction,
celle du fratricide !. . . Je ne puis pas prier,
bien que le désir m’y pousse aussi vivement que la volonté ;
mon crime est plus fort que ma forte intention ;
comme un homme obligé à deux devoirs,
je m’arrête ne sachant par lequel commencer,
et je les néglige tous deux. Quoi ! quand sur cette main maudite
le sang fraternel ferait une couche plus épaisse qu’elle-même,
est-ce qu’il n’y a pas assez de pluie dans les cieux cléments
pour la rendre blanche comme neige ? À quoi sert la miséricorde,
si ce n’est à affronter le visage du crime ?
Et qu’y a-t-il dans la prière, si ce n’est cette double vertu
de nous retenir avant la chute,
ou de nous faire pardonner, après ? Levons donc les yeux ;
ma faute est passée. Oh ! mais quelle forme de prière
peut convenir à ma situation ?. . . Pardonnez-moi mon meurtre hideux !. . .
Cela est impossible, puisque je suis encore en possession
des objets pour lesquels j’ai commis le meurtre :
ma couronne, ma puissance, ma femme ?
Peut-on être pardonné sans réparer l’offense.
Dans les voies corrompues de ce monde,
la main dorée du crime peut faire dévier la justice,
et l’on a vu souvent le gain criminel lui-même
servir à acheter la loi. Mais il n’en est pas ainsi là-haut :
là, pas de chicane ; là, l’action se poursuit
dans toute sa sincérité ; et nous sommes obligés nous-mêmes,
dussent nos fautes démasquées montrer les dents,
de faire notre déposition. Quoi donc ! qu’ai-je encore à faire ?
Essayer ce que peut le repentir ? Que ne peut-il pas ?
Mais aussi, que peut-il pour celui qui ne peut pas se repentir ?
Ô situation misérable ! ô conscience noire comme la mort !
ô pauvre âme engluée, qui, en te débattant pour être libre,
t’engages de plus en plus ! Au secours, anges, faites un effort !
Pliez, genoux inflexibles ! Et toi, coeur, que tes fibres d’acier
soient tendres comme les nerfs d’un enfant nouveau-né !
Tout peut être réparé.

Il se met à genoux, à l’écart

Entre Hamlet

HAMLET — Je puis agir à présent ! justement il est en prière !
Oui, je vais agir à présent. . . Mais alors il va droit au ciel ;
et est-ce ainsi que je suis vengé ? Voilà qui mérite réflexion.
Un misérable tue mon père ; et pour cela,
moi, son fils unique, j’envoie ce misérable
au ciel !
Ah ! c’est une faveur, une récompense, non une vengeance.
Il a surpris mon père plein de pain (19), brutalement,
quand ses péchés épanouis étaient éclatants comme le mois de mai.
Et qui sait, hormis le ciel, quelles charges pèsent sur lui ?
D’après nos données et nos conjectures,
elles doivent être accablantes. Serait-ce donc me venger
que de surprendre celui-ci au moment où il purifie son âme,
quand il est en mesure et préparé pour le voyage ?
Non.
Arrête, mon épée ! Réserve-toi pour un coup plus horrible :
quand il sera soûl et endormi, ou dans ses fureurs,
ou dans les plaisirs incestueux de son lit,
en train de jouer ou de jurer, ou de faire une action
qui n’ait pas même l’arrière-goût du salut,
alors culbute-le, de façon que ses talons ruent contre le ciel,
et que son âme soit aussi damnée, aussi noire,
que l’enfer où elle ira ! Ma mère m’attend.

Se tournant vers le roi

Ce palliatif-là ne fait que prolonger tes jours malades.

Il sort

Le roi se lève, et s’avance

LE ROI — Mes paroles s’envolent ; mes pensées restent en bas.
Les paroles sans les pensées ne vont jamais au ciel.

Il sort
      La chapelle du château
CLAUDIUS, ROSENCRANTZ, et GUILDENSTERN

CLAUDIUS — Il me déplaît et il se montre dangereux pour nous
De laisser libre cours à ses aberrations. Tenez-vous donc prêts tous deux :
J’adresse vos délégations sur le champ. Quant à lui, je le poste à la tête
De votre entreprise : les visées de notre état ne sauraient endurer l’aléa
Croissant que nous font courir ses décisions lunatiques.

GUILDENSTERN — Nous sommes pressés d'adhérer à ce dessein
Car c'est pour nous un désir saint et pieux que de soustraire au danger
Les nombreux sujets qui fondent leurs espoirs sur la fermeté de votre majesté.

ROSENCRANTZ — Chaque vie est tenue, à titre individuel, de se garder du mal
Avec toute la puissance dont son âme peut s'armer. Mais c'est plus encore devoir
Pour celui dont dépendent la sérénité comme le repos du reste des habitants d'une contrée.
À l'instant où cesse un règne, ce n'est pas une majesté qui seule s'effondre :
C'est Charybde qui perd ceux qui en sont trop rapprochés, c'est une roue de cocagne
Imposante, à quoi s'attachent mille bricoles comme jointes et mortaisées,
Trônant au sommet de quelque mont aigu, qui, dans sa chute, entraînera dans son sillage
L'affaissement de toutes ses dépendances jusqu'à la plus petite annexe en une houleuse débâcle,
Et c'est pourquoi jamais roi ne poussa soupir qui ne s'assortît de la complainte de la masse.

CLAUDIUS — Braves seigneurs, employez-vous sur l'heure en vue d'un pressant voyage
Car il nous incombe de mettre les fers à ce péril tant qu'il n'est encore que va-nu-pieds.

ROSENCRANTZ & GUILDENSTERN — Selon votre consigne, nous nous affairerons en toute hâte.

ROSENCRANTZ et GUILDENSTERN se retirent

POLONIUS point

LORD POLONIUS — Majesté, il s’en va au cabinet de sa mère. Je projette de m’y rendre
Mêmement, m’escamotant par l’entremise du rideau afin de percevoir l’affaire, et m’assurer
Qu’elle lui fera bien des remontrances amères, puisque, comme vous l’avez dit, Majesté,
Il est du domaine du bon que le discours d’une mère s’ouvre à une large audience car,
Comme vous le faisiez très judicieusement observer, Dame Nature fit les mères partiales.
C’est sur ce que je prends congé, royal suzerain. Je repasserai pour le petit coucher
Afin de vous faire connaître ce que j’aurai appris.

CLAUDIUS — Ma reconnaissance vous accompagne, chambellan.

POLONIUS étant sorti, Claudius, resté seul, va s'asseoir sur une chaise et pense

Oh, le degré de mon crime sordide est hors pair
Et d'essence à faire monter jusqu’aux cieux
Un dégradant fumet car il porte sur les épaules
L'anathème immémorial du fratricide originel !

HAMLET, passant par-là, le suit, s'arrête et pense
HAMLET
Il me suffit de m'approcher ainsi sur la pointe des pieds :
C'est l'instant idéal pour se défaire du roi sans coup férir,
Maintenant qu'il est en prière : s'il bouge un cil, c’est est fait du beau-père.

C’est prier qui s’impose mais c’est ce que je ne peux,
Quelque intense qu'en soit le désir par lequel j'y incline.

Allons, j'allonge le bras, il se retrouve ad patres,
Et me voici vengé.

L'intention même puissante s'efface devant
La conscience de la faute plus prégnante encore
Et tel un homme en proie à des injonctions contraires,
Tiraillé entre deux affaires antagoniques, voici,
Quand je devrais m'atteler à la tâche, que je reste
À l'arrêt et néglige l'ensemble.

Cela mérite pourtant d'y regarder à deux fois :
Mon père se fait assassiner par un pendard et du coup,
Moi, son fils unique, j'expédierais le pendard-même
Au paradis des pères, pour cette raison seule ? Et me faisant
Ainsi pécheur ? C'est à désespérer, car qu'ai-je à y gagner ?

Il joint les deux mains pour s'inviter à la prière
Et quand bien même ce serait non d'une autre main
Mais du sang d'un frère que cette main réprouvée
Se grossirait, les cieux miséricordieux n'auraient-ils
Pas assez de larmes pour lui rendre la blancheur
Immaculée du flocon ?

Il s'agit plus d'appointements et d'honoraires versés
Que d'un prêté pour un rendu. Belle vengeance !

De quelle grandeur est donc
Miséricorde si elle se montre incapable de regarder
Le péché en face ?
Il se tord les doigts dans sa détresse

Il s'en est pris brutalement à Père en son repos,
Repu des reliefs du repas, de son double crime insufflé
En laissant tomber quelques gouttes de décoction
De part et d'autre, aussi adroitement que possible.

Et de quel pouvoir serait la prière n'étaient les deux vantaux
Qui la mettent en puissance de nous arrêter devant la faute
Ou, une fois péché commis, de nous en relever par pardon ?

Où il en est à l'instant vis-à-vis de l'audition qu'il accorde
À sa conscience, qui pourrait le dire à part les cieux ?

Mais je dois cesser d'analyser ainsi : ma faute est derrière moi,
Regardons de l'avant.
Il s'agenouille sur un prie-Dieu et se prend la tête entre les mains
Quelle modalité de l'imploration me sauvera le mieux
De ce tour pendable ? "Pardonnez-moi ce meurtre stupide
Qui damne mon âme, Seigneur." ? Seigneur, c'est impossible !
Car je persiste sous la dépendance de l'état qui a motivé
Mon crime : la couronne acquise, l'épouse qui l'accompagne
Et mon ambition affichée.

Mais en l'occurrence et au tour que prennent ses pensées, A ce que j’en saisis, la somme est lourde. Son compte est bon.

Peut-on espérer pardon tout en
Restant dans l'état de crime ?

Et je suis donc fondé à m’estimer vengé de le percer
Tandis qu’il purifie son âme en cette larmoyante
Catharsis, alors qu’il est mûr pour la mort,
Paré pour le grand voyage qui s’ouvre devant lui ?

Par les temps qui courent
En ce monde corrompu, la main rutilante du crime a tôt
Fait de se voir soutenue par le bras du Droit aveugle
Et sans larmes : souvent c'est le montant du butin
Vicieux qui pourvoit aux frais de cour. Mais il en va bien
Autrement au-dessus de nous : là-haut, pas de manoeuvres
La-haut, l'acte vaut selon sa véritable nature et nous nous
Trouvons réduits à nous soumettre à l'évidence au nez-même
Et à la barbe de nos fautes.

Certes pas ! Ne t’attriste pas à ces mots, par la parole de Dieu, Ô ma chère, ma fine épée, car tu causeras bien d’autres maux
En trouvant bientôt un plus horrible fourreau.

Alors quoi ? Que reste-t-il ? Qu'à se taire ?
Éprouver encore et encore ce dont est capable repentir ?
Et repentir ne peut-il pas beaucoup ?
Mais quelle en est la puissance d'effet si le coupable, nonobstant
Son désir acéré, ne peut que trop peu se repentir ?

Attends pour le percer qu'il soit ivre, somnolent
Ou plus même comme son frère, ivre de rage,
Ou d'indécence quand il se livre aux plaisirs
Incestueux du lit, attends un autre jour,
Attends qu'il joue, écoute la parole de Dieu,
Ecoute l'enseignement du Seigneur, Ô mon épée,
Attends qu'il l'outrage, qu'il sacre et qu'il tempête,
Qu'il soit au bord de l'acte qui le privera une bonne fois
Pour toutes de tout espoir de salut

Quel état inextricable et sordide !
Ô effroi d'un coeur noir comme la mort ! Ô âme au bord
De sombrer de la falaise, qui ne lutte que pour s'enferrer
Mieux encore et ne tire blancheur qu'à se brûler à la chaux !

Alors nous appliquerons la loi du Talion grâce au ciel,
Et pan ! Nous l’y dépêcherons à lui en faire botter les splendeurs
De sorte que son âme retombe plus scélérate encore
Au royaume de Satan après ce voyage balistique.

Il tente d'abord sans succès de se relever
Approchez, anges du ciel, venez à ma rescousse, et m'aidez
À me relever. J'ai réfléchi tant que j'ai pu, à votre tour, maintenant :
Fléchissez-vous, mes vieux genoux cassés, usés par la vie.
Et que le coeur des dieux, aux fibres inflexibles
Comme l'acier trempé, veuille bien s'accorder de fondre
Un instant pour s'adoucir à l'image des tendons du nouveau-né.

Maman doit attendre ! Mais l'heure n'est que différée :
De la physique à la métaphysique,
Il n'y a qu'un pas que tu franchiras bientôt.
Il sort

Allons, le pire étant passé, il faut croire que tout ira bien.
Il finit par réussir à se relever et dit à voix haute
Que mes paroles trouvent leur voie jusqu'au ciel, elles ne font
Pas mouche pour autant si elles ne sont pas entendues,
N’étant pas supérieurement inspirées.
Les mots, sans les sens que leur confèrent les pensées
Qu'appelle l'émotion, ne sont que des cris vains,
Des idées en l'air, des généralités dépensées en dits inféconds,
Tels démons empêchés d'atteindre les terres divines de l'Olympe.
Il sort

dimanche 2 novembre 2014

Acte 2 - Scène 1

[A room in POLONIUS' house.]
{Enter POLONIUS and REYNALDO}

LORD POLONIUS - Give him this money and these notes, Reynaldo.
REYNALDO - I will, my lord.
LORD POLONIUS - You shall do marvellous wisely, good Reynaldo,
Before you visit him, to make inquire
Of his behavior.
REYNALDO - My lord, I did intend it.
LORD POLONIUS - Marry, well said; very well said. Look you, sir,
Inquire me first what Danskers are in Paris;
And how, and who, what means, and where they keep,
What company, at what expense; and finding
By this encompassment and drift of question
That they do know my son, come you more nearer
Than your particular demands will touch it:
Take you, as 'twere, some distant knowledge of him;
As thus, 'I know his father and his friends,
And in part him: ' do you mark this, Reynaldo?
REYNALDO - Ay, very well, my lord.
LORD POLONIUS - 'And in part him; but' you may say 'not well:
But, if't be he I mean, he's very wild;
Addicted so and so:' and there put on him
What forgeries you please; marry, none so rank
As may dishonour him; take heed of that;
But, sir, such wanton, wild and usual slips
As are companions noted and most known
To youth and liberty.
REYNALDO - As gaming, my lord.
LORD POLONIUS - Ay, or drinking, fencing, swearing, quarrelling,
Drabbing: you may go so far.
REYNALDO - My lord, that would dishonour him.
LORD POLONIUS - 'Faith, no; as you may season it in the charge
You must not put another scandal on him,
That he is open to incontinency;
That's not my meaning: but breathe his faults so quaintly
That they may seem the taints of liberty,
The flash and outbreak of a fiery mind,
A savageness in unreclaimed blood,
Of general assault.
REYNALDO - But, my good lord,--
LORD POLONIUS - Wherefore should you do this?
REYNALDO - Ay, my lord,
I would know that.
LORD POLONIUS - Marry, sir, here's my drift;
And I believe, it is a fetch of wit:
You laying these slight sullies on my son,
As 'twere a thing a little soil'd i' the working, Mark you,
Your party in converse, him you would sound,
Having ever seen in the prenominate crimes
The youth you breathe of guilty, be assured
He closes with you in this consequence;
'Good sir,' or so, or 'friend,' or 'gentleman,'
According to the phrase or the addition
Of man and country.
REYNALDO - Very good, my lord.
LORD POLONIUS - And then, sir, does he this--he does--what was I
about to say? By the mass, I was about to say
something: where did I leave?
REYNALDO - At 'closes in the consequence,' at 'friend or so,'
and 'gentleman.'
LORD POLONIUS - At 'closes in the consequence,' ay, marry;
He closes thus: 'I know the gentleman;
I saw him yesterday, or t' other day,
Or then, or then; with such, or such; and, as you say,
There was a' gaming; there o'ertook in's rouse;
There falling out at tennis:' or perchance,
'I saw him enter such a house of sale,'
Videlicet, a brothel, or so forth.
See you now;
Your bait of falsehood takes this carp of truth:
And thus do we of wisdom and of reach,
With windlasses and with assays of bias,
By indirections find directions out:
So by my former lecture and advice,
Shall you my son. You have me, have you not?
REYNALDO - My lord, I have.
LORD POLONIUS - God be wi' you; fare you well.
REYNALDO - Good my lord!
LORD POLONIUS - Observe his inclination in yourself.
REYNALDO - I shall, my lord.
LORD POLONIUS - And let him ply his music.
REYNALDO - Well, my lord.
LORD POLONIUS - Farewell!
Exit REYNALDO
Enter OPHELIA
How now, Ophelia! what's the matter?
OPHELIA - O, my lord, my lord, I have been so affrighted!
LORD POLONIUS - With what, i' the name of God?
OPHELIA - My lord, as I was sewing in my closet,
Lord Hamlet, with his doublet all unbraced;
No hat upon his head; his stockings foul'd,
Ungarter'd, and down-gyved to his ancle;
Pale as his shirt; his knees knocking each other;
And with a look so piteous in purport
As if he had been loosed out of hell
To speak of horrors,--he comes before me.
LORD POLONIUS - Mad for thy love?
OPHELIA - My lord, I do not know;
But truly, I do fear it.
LORD POLONIUS - What said he?
OPHELIA - He took me by the wrist and held me hard;
Then goes he to the length of all his arm;
And, with his other hand thus o'er his brow,
He falls to such perusal of my face
As he would draw it. Long stay'd he so;
At last, a little shaking of mine arm
And thrice his head thus waving up and down,
He raised a sigh so piteous and profound
As it did seem to shatter all his bulk
And end his being: that done, he lets me go:
And, with his head over his shoulder turn'd,
He seem'd to find his way without his eyes;
For out o' doors he went without their helps,
And, to the last, bended their light on me.
LORD POLONIUS - Come, go with me: I will go seek the king.
This is the very ecstasy of love,
Whose violent property fordoes itself
And leads the will to desperate undertakings
As oft as any passion under heaven
That does afflict our natures. I am sorry.
What, have you given him any hard words of late?
OPHELIA - No, my good lord, but, as you did command,
I did repel his fetters and denied
His access to me.
LORD POLONIUS - That hath made him mad.
I am sorry that with better heed and judgment
I had not quoted him: I fear'd he did but trifle,
And meant to wreck thee; but, beshrew my jealousy!
By heaven, it is as proper to our age
To cast beyond ourselves in our opinions
As it is common for the younger sort
To lack discretion. Come, go we to the king:
This must be known; which, being kept close, might
move
More grief to hide than hate to utter love.
Exeunt
      [Une chambre dans la maison de Polonius.]
{Entrent Polonius et Reynaldo.}

POLONIUS — Donnez-lui cet argent et ces billets, Reynaldo.
REYNALDO — Oui, monseigneur.
POLONIUS — Il sera merveilleusement sage, bon Reynaldo,
avant de l’aller voir, de vous enquérir
de sa conduite.
REYNALDO — Monseigneur, c’était mon intention.
POLONIUS — Bien dit, pardieu ! très bien dit ! Voyez-vous, mon cher !
sachez-moi d’abord quels sont les Danois qui sont à Paris ;
comment, avec qui, de quelles ressources, où ils vivent ;
quelle est leur société, leur dépense ; et une fois assuré,
par ces évolutions et ce manége de questions,
qu’ils connaissent mon fils, avancez-vous plus
que vos demandes n’auront l’air d’y toucher.
Donnez-vous comme ayant de lui une connaissance éloignée,
en disant, par exemple : « Je connais son père et sa famille,
et un peu lui-même. » Comprenez-vous bien, Reynaldo ?
REYNALDO — Oui, très bien, monseigneur.
POLONIUS — « Et un peu lui-même :
mais, (pourrez-vous ajouter) bien imparfaitement ;
d’ailleurs, si c’est bien celui dont je parle, c’est un jeune écervelé,
adonné à ceci ou à cela. . . » et alors mettez-lui sur le dos
tout ce qu’il vous plaira d’inventer ; rien cependant d’assez odieux
pour le déshonorer ; faites-y attention ;
tenez-vous, mon cher, à ces légèretés, à ces folies, à ces écarts usuels,
bien connus comme inséparables
de la jeunesse en liberté.
REYNALDO — Par exemple, monseigneur, l’habitude de jouer.
POLONIUS — Oui, ou de boire, de tirer l’épée, de jurer, de se quereller,
de courir les filles : vous pouvez aller jusque-là.
REYNALDO — Monseigneur, il y aurait là de quoi le déshonorer !
POLONIUS — Non, en vérité ; si vous savez tempérer la chose dans l’accusation.
N’allez pas ajouter à sa charge
qu’il est débauché par nature ;
ce n’est pas là ce que je veux dire : mais effleurez si légèrement ses torts,
qu’on n’y voie que les fautes de la liberté,
l’étincelle et l’éruption d’un cerveau en feu,
et les écarts d’un sang indompté,
qui emporte tous les jeunes gens.
REYNALDO — Mais, mon bon seigneur. . .
POLONIUS — Et à quel effet devrez-vous agir ainsi ?
REYNALDO — C’est justement, monseigneur,
ce que je voudrais savoir.
POLONIUS — Eh bien, mon cher, voici mon but,
et je crois que c’est un plan infaillible.
Quand vous aurez imputé à mon fils ces légères taches
qu’on verrait chez tout être un peu souillé par l’action du monde,
faites bien attention !
si votre interlocuteur, celui que vous voulez sonder,
a jamais remarqué aucun des vices énumérés par vous
chez le jeune homme dont vous lui parlez vaguement,
il tombera d’accord avec vous de cette façon :
Cher monsieur, ou mon ami, ou seigneur !
suivant le langage et la formule,
adoptés par le pays ou par l’homme en question.
REYNALDO — Très-bien, monseigneur.
POLONIUS — Eh bien, donc, monsieur, alors il. . . alors. . . Qu’est-ce que j’allais dire ?
J’allais dire quelque chose. Où en étais-je ?
REYNALDO — Vous disiez : « Il tombera d’accord de cette façon. . . »
POLONIUS — Il tombera d’accord de cette façon. . . Oui. Morbleu,
il tombera d’accord avec vous comme ceci : « Je connais le jeune homme,
je l’ai vu hier ou l’autre jour,
à telle ou telle époque ; avec tel et tel ; et, comme vous disiez,
il était là à jouer ; » ou : « Je l’ai surpris à boire, »
ou, « se querellant au jeu de paume ; » ou, peut-être :
« Je l’ai vu entrer dans telle maison suspecte
(videlicet, un bordel), » et ainsi de suite.
Vous voyez maintenant,
la carpe de la vérité se prend à l’hameçon de vos mensonges ;
et c’est ainsi que, nous autres, hommes de bon sens et de portée, en
entortillant le monde et en nous y prenant de biais,
nous trouvons indirectement notre direction.
Voilà comment, par mes instructions et mes avis préalables,
vous connaîtrez mon fils. Vous m’avez compris, n’est-ce pas ?
REYNALDO — Oui, monseigneur.
POLONIUS — Dieu soit avec vous ! bon voyage !
REYNALDO — Mon bon seigneur. . .
POLONIUS — Faites par vous-même l’observation de ses penchants.
REYNALDO — Oui, monseigneur.
POLONIUS — Et laissez-le jouer sa musique.
REYNALDO — Bien, monseigneur.
POLONIUS — Adieu !
Reynaldo sort.
Entre Ophélia.
Eh bien ! Ophélia, qu’y a-t-il ?
OPHELIA — Oh ! monseigneur ! monseigneur, j’ai été si effrayée !
POLONIUS — De quoi, au nom du ciel ?
OPHELIA — Monseigneur, j’étais à coudre dans ma chambre,
lorsqu’est entré le seigneur Hamlet, le pourpoint tout défait,
la tête sans chapeau, les bas chiffonnés,
sans jarretières et retombant sur la cheville,
pâle comme sa chemise, les genoux s’entrechoquant,
enfin avec un aspect aussi lamentable
que s’il avait été lâché de l’enfer
pour raconter des horreurs. . . Il se met devant moi.
POLONIUS — Son amour pour toi l’a rendu fou !
OPHELIA — Je n’en sais rien, monseigneur,
mais, vraiment, j’en ai peur.
POLONIUS — Qu’a-t-il dit ?
OPHELIA — Il m’a prise par le poignet et m’a serrée très-fort.
Puis, il s’est éloigné de toute la longueur de son bras ;
et, avec l’autre main posée comme cela au-dessus de mon front,
il s’est mis à étudier ma figure comme
s’il voulait la dessiner. Il est resté longtemps ainsi.
Enfin, secouant légèrement mon bras,
et hochant trois fois la tête de haut en bas,
il a poussé un soupir si pitoyable et si profond
qu’on eût dit que son corps allait éclater
et que c’était sa fin. Cela fait, il m’a relâchée,
et, la tête tournée par-dessus l’épaule,
il semblait trouver son chemin sans y voir,
car il a franchi les portes sans l’aide de ses yeux,
et jusqu’à la fin, il en a détourné la lumière sur moi.
POLONIUS — Viens avec moi : je vais trouver le roi.
C’est bien là le délire même de l’amour :
il se frappe lui-même dans sa violence,
et entraîne la volonté à des entreprises désespérées,
plus souvent qu’aucune des passions qui, sous le ciel,
accablent notre nature. Je suis fâché. . .
Ah çà, lui auriez-vous dit dernièrement des paroles dures ?
OPHELIA — Non, mon bon seigneur ; mais, comme vous me l’aviez commandé,
j’ai repoussé ses lettres et je lui ai refusé
tout accès près de moi.
POLONIUS — C’est cela qui l’a rendu fou.
Je suis fâché de n’avoir pas mis plus d’attention et de discernement
à le juger. Je craignais que ce ne fût qu’un jeu,
et qu’il ne voulût ton naufrage. Mais maudits soient mes soupçons !
Il semble que c’est le propre de notre âge
de pousser trop loin la précaution dans nos jugements,
de même que c’est chose commune parmi la jeune génération
de manquer de retenue. Viens, allons trouver le roi.
Il faut qu’il sache tout ceci : le secret de cet amour peut provoquer
plus de malheurs que sa révélation de colères.
Viens.
Ils sortent.
      [Le bureau dans les appartements de Polonius]
{Polonius assis à son secrétaire, entre Reynhald}

POLONIUS - Se levant vivement pour remettre des documents à son secrétaire, puis l'entraînant durant tout leur dialogue Faites-lui parvenir ces pièces et ces billets, Reynhald.
REYNALDO - Ce sera fait, chambellan.
POLONIUS - Vous seriez fort avisé, Reynhald mon cher, de vous livrer
À quelque enquête quant à ses habitudes avant de le voir en audience.
REYNALDO - Telle était bien mon intention, chambellan.
POLONIUS - Rêveur "Intention" : par la Vierge, quelle belle expression, tellement belle.
Se reprenant Veillez d'abord à me repérer nos compatriotes à Paris :
Qui, comment, pourquoi et tout ce qu'il en est, où ils se retrouvent,
Et qui ils y retrouvent, à combien se montent leurs biens, et leurs dépenses.
C'est en les enceignant ainsi, dans une nébuleuse de requêtes, que,
Trouvant et prouvant qu'ils connaissent mon fils, vous pourrez en venir
À l'approcher au plus près sans avoir l'air d'y toucher.
N'endossez de lui qu'un savoir en quelque sorte distant, ainsi :
"Je connais son père comme ses amis, et lui-même aussi,
Mais en partie seulement." : tel sera votre rôle, je vous l'apprends.
Vous avez bien retenu, Reynhald ?
REYNALDO - Très bien, chambellan.
POLONIUS - Non : vous arrivez et vous dites "En partie" seulement, mais pas "Très bien",
Bien que vous puissiez vous permettre de glisser "S'il est celui que je me figure,
Il est bouillonnant, exalté jusqu'à l'addiction", puis vous improvisez pour lui coller sur le dos
Tous les potins qui vous viendront à l'esprit, sans aller jusqu'à être assez odieux
Pour le flétrir au passage — gardez bien tout cela en tête —, sans omettre
Cependant bien sûr, mon Dieu, les débordements du libertinage et les folies qui
Sont d’ordinaire commensaux propres à jeunesse et à sa licence.
REYNALDO - Ainsi les cartes et les dés, sire chambellan.
POLONIUS - Bien ! Puis l'alcool, les duels d'escrime, blasphèmes, bagarres
Et aller aux putes : ne vous privez pas de monter les enchères jusque là.
REYNALDO - Messire, ça le salirait.
POLONIUS - En puissance peut-être, mais en effet c'est bénin, aussi longtemps
Que vous vous abstenez de lui imputer d'autres excès. Qu'il manque
De pudeur et de mesure, tel n'est pas mon propos. Mais distillez ses impairs
Si subtilement qu'ils prennent l'air de la liberté,
D'un esprit pétulant et fougueux les éclats,
D'un jeune sang la nature brute autant qu'oncques aucune.
REYNALDO - Mais, messire, --
POLONIUS - Dans quel but devrez-vous vous conduire de la sorte, vous dites-vous ?
REYNALDO - En effet, sire Polonius, c'est bien ce qu'il m'importe d'apprendre.
POLONIUS - Mère de Dieu, voici le moyen pour lequel je penche
Et je suis porté à croire qu'il s'agit d'un tour rusé d'habile facture :
Vous présentant en affectant mon fils de tels petits péchés véniels
Comme s'agissant de quelque anecdotique petite tache d'usage prise
À la tâche, tenez-vous pour assuré que l'honorable correspondant
Pour qui vos paroles sont des sondes, n'ayant jamais vu que souffle de jeunesse
Dans les susdits péchés que vous ressentez comme crimes, assuré donc
Qu'avec vous il conviendra de la sorte par un "Cher comte" ou à l'avenant,
Ou un "Mon ami", ou encore "Monsieur", au gré de l'usage en vigueur
Selon le pays et l'homme.
REYNALDO - Puis encore, chambellan ?
POLONIUS - S'agitant soudain de quelques tics Et donc alors, bon, c'est facile, vous demandez "Fait-il ceci ou cela ?" : disons qu'il dit qu'il fait cela. Alors. . . J'étais sur le point de dire quelque chose. . . C'était une subtilité comme rarement on l'ourdit. . . Par la vertu de la sainte messe, pouvez-vous reprendre mes dires ? Où me suis-je arrêté ?
REYNALDO - Bien sûr : c'était sur "convenir de la sorte", "ami ou à l'avenant", "Monsieur".
POLONIUS - Convenir de la sorte ? Ah ! j'y suis !
Ainsi convient-il de la sorte pour conclure « Je connais l'individu,
Et le vis lundi, ou jeudi, ou quand était-ce, et où ? Était-ce hier chez Didier ?
Comme vous le disiez, on jouait jeudi, là il chopa la plus belle des murges,
Là une branlée mémorable au jeu de paume », ou, selon son éducation,
« Il se pourrait bien que je le visse figurer dans une sale affaire de moeurs »
Autant dire par licence dans un claque ou quoi que ce soit dans le genre.
Alors aucune hésitation, dans la mesure où vous saisissez le schéma :
Un atome d'inspiration vous permettra de pêcher un gros poisson
De belle et bonne vérité. C'est par cette démarche qu'on peut, d'un peu
De sagesse et de longueur de vue, sans reculer devant quelques détours
Ni hésiter à biaiser, se frayer une voie pour tirer quelque science des apparences.
Voici, pour la forme, la fin de ma leçon sur la méthode qu'homme de bon conseil
Suivra pour mener rondement une cause délicate, et partant vous mon fils.
Vous me suivîtes ou ne me suivîtes pas ?
REYNALDO - À mon avis, j'ai suivi, conseiller.
POLONIUS - Dieu vous guide ! Allez, vite.
REYNALDO - Je suis votre homme !
POLONIUS - Bon ! Mais pas trop loin : voyez à percevoir vous-même ses penchants.
REYNALDO - C'est bien ainsi que je l'entends, chambellan.
POLONIUS - Surtout laissez-le découvrir son jeu, et prenez des notes.
REYNALDO - Aussi bien que je le puis, monsieur.
POLONIUS - Bonne course !
REYNALDO sorti, Polonius fait les cent pas dans la pièce, puis à part et non sans trouble Mais qu'est-ce donc qui se produit ?
OPHÉLIE à cour toute en larmes
Ophélie ! Quelles sont ces larmes amères ?
OPHELIA - Oh, père, cher père, me voici si confuse !
POLONIUS - De quoi s'agit-il, par tous les saints ?
OPHELIA - J'étais, père, à tapisser en mon cabinet lorsqu'Hamlet,
Le gilet tout défait, sans coiffe, l'aiguillette dénouée et, découlant,
Le haut-de-chausses affaissé sur les jambes, versant sur le pied et
Relâché jusqu'à la cheville, aussi pâle qu'était clair l'habit qui le ceignait,
S'en vint sans raison titubant devant moi, genoux flageolants,
Exhibant un maintien aussi piteux qu'un fuyard échappé
De l'enfer de ses fers pour en rapporter l'effroi.
POLONIUS - Aliéné, défait d'amour, ma fille ?
OPHELIA - Point ne le sais-je, père, mais j'ai proprement lieu de m'en alarmer.
POLONIUS - S'est-il exprimé ?
OPHELIA - Tout s'est passé sans mots, sans articuler. Il se présente, me prend les poings tendus
Et m'astreint bien fort puis, là, va lentement de toute la longueur d'une manche
Tandis que, de son autre main ainsi ramenée vers le front
Il se met à scruter ma face comme pour en reproduire le portrait.
Il s'attarda ainsi des instants qui durent durer un long moment, puis,
Sur un tressaillement de ma manche, il hocha par trois reprises, père,
J'en fus témoin, sa tête de la sorte, et lança un profond soupir,
Désespéré à vider son corps de tout son être. Sur ce, il me délivra
De son étreinte et, la tête versée sur l’épaule,
Sans effort et toujours sans rien dire, se porta vers l'extérieur,
Semblant se piloter comme si c'était sans l'aide d'yeux
Pour m'en réserver l'éclat tourné vers les miens.
Elle fond de nouveau en larmes et s'enfouit le visage dans les mains
POLONIUS - Agité, à part Du calme, du calme !
À Ophélie Suis-moi vite : il me faut quérir le roi sur le champ.
Nous nous trouvons bien en présence du vertige de l'amour
Dont l’attribut vivace est de s'épuiser par sa propre passion
Conduisant tout désir de hauteur à se jeter à corps perdu
En des entreprises vaines tant qu'aucun élan divin
N'en vient soutenir l'objet qui mène notre nature,
Je me tue à le rabâcher. Tu vois que je suis fort marri, ma fille. Eh quoi !
Tu ne lui aurais-tu pas adressé quelque remontrance ces temps derniers ?
OPHELIA - Défaite Aucune, père, mais, selon votre requête, j'ai repoussé lettre sur lettre
De sa part comme je l'ai éconduit de mon boudoir.
POLONIUS - Et voici donc ce qui l'aura tant ému !
J’ai tant de repentance de n’avoir pas été apte à estimer au mieux ses sentiments :
Je craignais qu’il ne se contentât de badinage envers toi, sans souci de te perdre.
La peste soit de ma scélérate défiance ! Par les nuées, il est aussi courant pour nous,
Gens d’expérience, de faire trop de cas de nos idées préconçues, qu’il est dommage
Pour jeunesse de faire fi d'usages courants en manquant de mesure comme de retenue.
Mais suis-moi, partageons vite cette piste avec le roi avant que d'aucuns ne l'apprennent :
Pas besoin d'être sorcier pour concevoir que ce qui reste celé peut n'être que germe
De plus d'amertume qu'amour affiché ne peut mouvoir de haine. Allons, vite.
Il sort et elle le suit

lundi 30 juin 2014

Acte 1 - Scène 5

Another part of the platform.
Enter GHOST and HAMLET

HAMLET — Where wilt thou lead me? speak; I'll go no further.
GHOST — Mark me.
HAMLET — I will.
GHOST — My hour is almost come,
When I to sulphurous and tormenting flames
Must render up myself.
HAMLET — Alas, poor ghost!
GHOST — Pity me not, but lend thy serious hearing
To what I shall unfold.
HAMLET — Speak; I am bound to hear.
GHOST — So art thou to revenge, when thou shalt hear.
HAMLET — What?
GHOST — I am thy father's spirit,
Doom'd for a certain term to walk the night,
And for the day confined to fast in fires,
Till the foul crimes done in my days of nature
Are burnt and purged away. But that I am forbid
To tell the secrets of my prison-house,
I could a tale unfold whose lightest word
Would harrow up thy soul, freeze thy young blood,
Make thy two eyes, like stars, start from their spheres,
Thy knotted and combined locks to part
And each particular hair to stand on end,
Like quills upon the fretful porpentine:
But this eternal blazon must not be
To ears of flesh and blood. List, list, O, list!
If thou didst ever thy dear father love--
HAMLET — O God!
GHOST — Revenge his foul and most unnatural murder.
HAMLET — Murder!
GHOST — Murder most foul, as in the best it is;
But this most foul, strange and unnatural.
HAMLET — Haste me to know't, that I, with wings as swift
As meditation or the thoughts of love,
May sweep to my revenge.
GHOST — I find thee apt;
And duller shouldst thou be than the fat weed
That roots itself in ease on Lethe wharf,
Wouldst thou not stir in this. Now, Hamlet, hear:
'Tis given out that, sleeping in my orchard,
A serpent stung me; so the whole ear of Denmark
Is by a forged process of my death
Rankly abused: but know, thou noble youth,
The serpent that did sting thy father's life
Now wears his crown.
HAMLET — O my prophetic soul! My uncle!
GHOST — Ay, that incestuous, that adulterate beast,
With witchcraft of his wit, with traitorous gifts,--
O wicked wit and gifts, that have the power
So to seduce!--won to his shameful lust
The will of my most seeming-virtuous queen:
O Hamlet, what a falling-off was there!
From me, whose love was of that dignity
That it went hand in hand even with the vow
I made to her in marriage, and to decline
Upon a wretch whose natural gifts were poor
To those of mine!
But virtue, as it never will be moved,
Though lewdness court it in a shape of heaven,
So lust, though to a radiant angel link'd,
Will sate itself in a celestial bed,
And prey on garbage.
But, soft! methinks I scent the morning air;
Brief let me be. Sleeping within my orchard,
My custom always of the afternoon,
Upon my secure hour thy uncle stole,
With juice of cursed hebenon in a vial,
And in the porches of my ears did pour
The leperous distilment; whose effect
Holds such an enmity with blood of man
That swift as quicksilver it courses through
The natural gates and alleys of the body,
And with a sudden vigour doth posset
And curd, like eager droppings into milk,
The thin and wholesome blood: so did it mine;
And a most instant tetter bark'd about,
Most lazar-like, with vile and loathsome crust,
All my smooth body.
Thus was I, sleeping, by a brother's hand
Of life, of crown, of queen, at once dispatch'd:
Cut off even in the blossoms of my sin,
Unhousel'd, disappointed, unanel'd,
No reckoning made, but sent to my account
With all my imperfections on my head:
O, horrible! O, horrible! most horrible!
If thou hast nature in thee, bear it not;
Let not the royal bed of Denmark be
A couch for luxury and damned incest.
But, howsoever thou pursuest this act,
Taint not thy mind, nor let thy soul contrive
Against thy mother aught: leave her to heaven
And to those thorns that in her bosom lodge,
To prick and sting her. Fare thee well at once!
The glow-worm shows the matin to be near,
And 'gins to pale his uneffectual fire:
Adieu, adieu! Hamlet, remember me.
Exit
HAMLET — O all you host of heaven! O earth! what else?
And shall I couple hell? O, fie! Hold, hold, my heart;
And you, my sinews, grow not instant old,
But bear me stiffly up. Remember thee!
Ay, thou poor ghost, while memory holds a seat
In this distracted globe. Remember thee!
Yea, from the table of my memory
I'll wipe away all trivial fond records,
All saws of books, all forms, all pressures past,
That youth and observation copied there;
And thy commandment all alone shall live
Within the book and volume of my brain,
Unmix'd with baser matter: yes, by heaven!
O most pernicious woman!
O villain, villain, smiling, damned villain!
My tables,--meet it is I set it down,
That one may smile, and smile, and be a villain;
At least I'm sure it may be so in Denmark:
Writing
So, uncle, there you are. Now to my word;
It is 'Adieu, adieu! remember me.'
I have sworn 't.
MARCELLUS & HORATIO — Within My lord, my lord,--
MARCELLUSWithin Lord Hamlet,--
HORATIOWithin Heaven secure him!
HAMLET — So be it!
HORATIOWithin Hillo, ho, ho, my lord!
HAMLET — Hillo, ho, ho, boy! come, bird, come.
Enter HORATIO and MARCELLUS
MARCELLUS — How is't, my noble lord?
HORATIO — What news, my lord?
HAMLET — O, wonderful!
HORATIO — Good my lord, tell it.
HAMLET — No; you'll reveal it.
HORATIO — Not I, my lord, by heaven.
MARCELLUS — Nor I, my lord.
HAMLET — How say you, then; would heart of man once think it?
But you'll be secret?
HORATIO & MARCELLUS — Ay, by heaven, my lord.
HAMLET — There's ne'er a villain dwelling in all Denmark
But he's an arrant knave.
HORATIO — There needs no ghost, my lord, come from the grave
To tell us this.
HAMLET — Why, right; you are i' the right;
And so, without more circumstance at all,
I hold it fit that we shake hands and part:
You, as your business and desire shall point you;
For every man has business and desire,
Such as it is; and for mine own poor part,
Look you, I'll go pray.
HORATIO — These are but wild and whirling words, my lord.
HAMLET — I'm sorry they offend you, heartily;
Yes, 'faith heartily.
HORATIO — There's no offence, my lord.
HAMLET — Yes, by Saint Patrick, but there is, Horatio,
And much offence too. Touching this vision here,
It is an honest ghost, that let me tell you:
For your desire to know what is between us,
O'ermaster 't as you may. And now, good friends,
As you are friends, scholars and soldiers,
Give me one poor request.
HORATIO — What is't, my lord? we will.
HAMLET — Never make known what you have seen to-night.
HORATIO & MARCELLUS — My lord, we will not.
HAMLET — Nay, but swear't.
HORATIO — In faith,
My lord, not I.
MARCELLUS — Nor I, my lord, in faith.
HAMLET — Upon my sword.
MARCELLUS — We have sworn, my lord, already.
HAMLET — Indeed, upon my sword, indeed.
GHOSTBeneath Swear.
HAMLET — Ah, ha, boy! say'st thou so? art thou there,
truepenny?
Come on--you hear this fellow in the cellarage--
Consent to swear.
HORATIO — Propose the oath, my lord.
HAMLET — Never to speak of this that you have seen,
Swear by my sword.
GHOSTBeneath Swear.
HAMLET — Hic et ubique? then we'll shift our ground.
Come hither, gentlemen,
And lay your hands again upon my sword:
Never to speak of this that you have heard,
Swear by my sword.
GHOSTBeneath Swear.
HAMLET — Well said, old mole! canst work i' the earth so fast?
A worthy pioner! Once more remove, good friends.
HORATIO — O day and night, but this is wondrous strange!
HAMLET — And therefore as a stranger give it welcome.
There are more things in heaven and earth, Horatio,
Than are dreamt of in your philosophy. But come;
Here, as before, never, so help you mercy,
How strange or odd soe'er I bear myself,
As I perchance hereafter shall think meet
To put an antic disposition on,
That you, at such times seeing me, never shall,
With arms encumber'd thus, or this headshake,
Or by pronouncing of some doubtful phrase,
As 'Well, well, we know,' or 'We could, an if we would,'
Or 'If we list to speak,' or 'There be, an if they might,'
Or such ambiguous giving out, to note
That you know aught of me: this not to do,
So grace and mercy at your most need help you, Swear.
GHOST —Beneath Swear.
HAMLET — Rest, rest, perturbed spirit!
They swear
So, gentlemen,
With all my love I do commend me to you:
And what so poor a man as Hamlet is
May do, to express his love and friending to you,
God willing, shall not lack. Let us go in together;
And still your fingers on your lips, I pray.
The time is out of joint: O cursed spite,
That ever I was born to set it right!
Nay, come, let's go together.
Exeunt
      Une autre partie de la plate-forme.
Hamlet et le Spectre reviennent.

HAMLET — Où veux-tu me conduire ? parle, je n’irai pas plus loin.
LE SPECTRE — Ecoute-moi bien.
HAMLET — J’écoute.
LE SPECTRE — L’heure est presque arrivée
où je dois retourner dans les flammes sulfureuses
qui servent à mon tourment.
HAMLET — Hélas ! pauvre ombre !
LE SPECTRE — Ne me plains pas, mais prête ta sérieuse attention
à ce que je vais te révéler.
HAMLET — Parle ! je suis tenu d’écouter.
LE SPECTRE — Comme tu le seras de tirer vengeance, quand tu auras écouté.
HAMLET — Comment ?
LE SPECTRE — Je suis l’esprit de ton père,
condamné pour un certain temps à errer la nuit,
et, le jour, à jeûner dans une prison de flamme,
jusqu’à ce que le feu m’ait purgé des crimes noirs
commis aux jours de ma vie mortelle. S’il ne m’était pas interdit
de dire les secrets de ma prison,
je ferais un récit dont le moindre mot
labourerait ton âme, glacerait ton jeune sang,
ferait sortir de leurs sphères tes yeux comme deux étoiles,
déferait le noeud de tes boucles tressées,
et hérisserait chacun de tes cheveux sur ta tête
comme des aiguillons sur un porc-épic furieux.
Mais ces descriptions du monde éternel ne sont pas faites
pour des oreilles de chair et de sang. . . Ecoute, écoute, oh ! écoute !
Si tu as jamais aimé ton tendre père. . .
HAMLET — Ô ciel !
LE SPECTRE — Venge-le d’un meurtre horrible et monstrueux.
HAMLET — D’un meurtre ?
LE SPECTRE — Un meurtre horrible ! le plus excusable l’est ;
mais celui-ci fut le plus horrible, le plus étrange, le plus monstrueux.
HAMLET — Fais-le-moi vite connaître, pour qu’avec des ailes rapides
comme l’idée ou les pensées d’amour,
je vole à la vengeance !
LE SPECTRE — Tu es prêt, je le vois.
Tu serais plus inerte que la ronce qui s’engraisse
et pourrit à l’aise sur la rive du Léthé,
si tu n’étais pas excité par ceci. Maintenant, Hamlet, écoute !
On a fait croire que, tandis que je dormais dans mon jardin,
un serpent m’avait piqué : ainsi, toutes les oreilles du Danemark
ont été grossièrement abusées par un récit forgé de ma mort.
Mais, sache-le, toi, noble jeune homme !
le serpent qui a mordu ton père mortellement
porte aujourd’hui sa couronne.
HAMLET — Ô mon âme prophétique ! Mon oncle ?
LE SPECTRE — Oui, ce monstre incestueux, adultère,
par la magie de son esprit, par ses dons perfides
(oh ! maudits soient l’esprit et les dons qui ont le pouvoir
de séduire à ce point ! ), a fait céder à sa passion honteuse
la volonté de ma reine, la plus vertueuse des femmes en apparence. . .
Ô Hamlet, quelle chute !
De moi, en qui l’amour toujours digne
marchait, la main dans la main, avec la foi
conjugale, descendre
à un misérable dont les dons naturels étaient
si peu de chose auprès des miens !
Mais, ainsi que la vertu reste toujours inébranlable,
même quand le vice la courtise sous une forme céleste ;
de même la luxure, bien qu’accouplée à un ange rayonnant,
aura beau s’assouvir sur un lit divin,
elle n’aura pour proie que l’immondice.
Mais, doucement ! il me semble que je respire la brise du matin.
Abrégeons. Je dormais dans mon jardin,
selon ma constante habitude, dans l’après-midi.
À cette heure de pleine sécurité, ton oncle se glissa près de moi
avec une fiole pleine du jus maudit de la jusquiame,
et m’en versa dans le creux de l’oreille
la liqueur pestilentielle. L’effet
en est funeste pour le sang de l’homme ;
rapide comme le vif-argent, elle s’élance à travers
les issues et les allées naturelles du corps ;
et, par une action soudaine, fait figer
et cailler, comme une goutte d’acide fait du lait,
le sang le plus limpide et le plus pur. C’est ce que j’éprouvai ;
et tout à coup je sentis, pareil à Lazare,
la lèpre couvrir partout d’une croûte infecte et hideuse
la surface lisse de mon corps.
Voilà comment dans mon sommeil la main d’un frère
me ravit à la fois existence, couronne et reine.
Arraché dans la floraison même de mes péchés,
sans sacrements, sans préparation, sans viatique,
sans m’être mis en règle, j’ai été envoyé devant mon juge,
ayant toutes mes fautes sur ma tête.
Ô ! horrible ! horrible ! oh ! bien horrible (7) !
Si tu n’es pas dénaturé, ne supporte pas cela ; que le lit royal de Danemark ne soit pas
la couche de la luxure et de l’inceste damné !
Mais, quelle que soit la manière dont tu poursuives cette action,
que ton esprit reste pur, que ton âme s’abstienne
de tout projet hostile à ta mère ; abandonne-la au ciel
et à ces épines qui s’attachent à son sein
pour la piquer et la déchirer. Adieu, une fois pour toutes !
Le ver luisant annonce que le matin est proche,
et commence à pâlir ses feux impuissants. Adieu, adieu, Hamlet ! Souviens-toi de moi.
Le spectre sort.
HAMLET — Ô vous toutes, légions du ciel ! Ô terre ! Quoi encore ?
Y accouplerai-je l’enfer ?. . . Infamie !. . . Contiens-toi, contiens-toi, mon coeur !
et vous, mes nerfs, ne devenez pas brusquement séniles,
et tenez-moi raide ! Me souvenir de toi !
Oui, pauvre ombre, tant que ma mémoire aura son siége
dans ce globe égaré. Me souvenir de toi !
Oui, je veux du registre de ma mémoire
effacer tous les souvenirs vulgaires et frivoles,
tous les dictons des livres, toutes les formes, toutes les impressions
qu’y ont copiées la jeunesse et l’observation ;
et ton ordre vivant remplira seul
les feuillets du livre de mon cerveau,
fermé à ces vils sujets. Oui, par le ciel !
Ô la plus perfide des femmes !
Ô scélérat ! scélérat ! scélérat souriant et damné !
Mes tablettes ! mes tablettes ! Il importe d’y noter
qu’un homme peut sourire, sourire, et n’être qu’un scélérat.
Du moins, j’en suis sûr, cela se peut en Danemark.
Il écrit.
Ainsi, mon oncle, vous êtes là. Maintenant le mot d’ordre, c’est : Adieu ! adieu !
Souviens-toi de moi ! Je l’ai juré.
HORATIOderrière la scène Monseigneur ! monseigneur !
MARCELLUSderrière la scène Seigneur Hamlet !
HORATIOderrière la scène Le ciel le préserve !
MARCELLUSderrière la scène Ainsi soit-il !
HORATIO — Hillo ! ho ! ho ! monseigneur !
HAMLET — Hillo ! ho ! ho ! page ! Viens, mon faucon, viens !
Entrent Horatio et Marcellus
MARCELLUS — Que s’est-il passé, mon noble seigneur ?
HORATIO — Quelle nouvelle, monseigneur ?
HAMLET — Oh ! prodigieuse !
HORATIO — Mon bon seigneur, dites-nous-la.
HAMLET — Non ;
vous la révéleriez.
HORATIO — Pas moi, monseigneur j’en jure par le ciel.
MARCELLUS — Ni moi, monseigneur.
HAMLET — Qu’en dites-vous donc ? quel coeur d’homme l’eût jamais pensé ?. . .
Mais vous serez discrets ?
HORATIO & MARCELLUS — Oui, par le ciel, monseigneur !
HAMLET — S’il y a dans tout le Danemark un scélérat. . .
c’est un coquin fieffé.
HORATIO — Il n était pas besoin, monseigneur, qu’un fantôme sortît de la tombe
pour nous apprendre cela.
HAMLET — Oui, c’est vrai ; vous êtes dans le vrai :
ainsi donc, sans plus de circonlocutions,
je trouve à propos que nous nous serrions la main et que nous nous quittions,
vous aller où vos affaires et vos besoins vous appelleront
(car chacun a ses affaires et ses besoins, quels qu’ils soient),
et moi, pour ma pauvre petite part, voyez-vous, je vais prier.
HORATIO — Ce sont là des paroles égarées et vertigineuses, monseigneur.
HAMLET — Je suis fâché qu’elles vous offensent, fâché du fond du coeur ;
oui, vrai ! du fond du coeur.
HORATIO — Il n’y a pas d’offense, monseigneur.
HAMLET — Si, par saint Patrick ! il y en a une,
une offense bien grave encore. En ce qui touche cette vision,
c’est un honnête fantôme, permettez-moi de vous le dire :
quant à votre désir de connaître ce qu’il y a entre nous,
maîtrisez-le de votre mieux. Et maintenant, mes bons amis,
si vous êtes vraiment des amis, des condisciples, des compagnons d’armes,
accordez-moi une pauvre faveur.
HORATIO — Qu’est-ce, monseigneur ?
volontiers.
HAMLET — Ne faites jamais connaître ce que vous avez vu cette nuit.
HORATIO & MARCELLUS — Jamais, monseigneur.
HAMLET — Bien ! mais jurez-le.
HORATIO — Sur ma foi !
monseigneur, je n’en dirai rien.
MARCELLUS — Ni moi, monseigneur, sur ma foi !
HAMLET — Jurez sur mon épée.
MARCELLUS — Nous avons déjà juré, monseigneur.
HAMLET — Jurez sur mon épée, jurez !
LE SPECTREde dessous terre Jurez !
HAMLET — Ah ! ah ! mon garçon, est-ce toi qui parles ? es-tu là, sou vaillant ?
Allons !. . . vous entendez le gaillard dans la cave,
consentez à jurer.
HORATIO — Prononcez la formule, monseigneur !
HAMLET — Ne jamais dire un mot de ce que vous avez vu ;
jurez-le sur mon épée.
LE SPECTREde dessous terre Jurez !
HAMLET — Hic et ubique. Alors, changeons de place.
Venez ici, messieurs,
et étendez encore les mains sur mon épée.
Vous ne parlerez jamais de ce que vous avez entendu,
jurez-le sur mon épée.
LE SPECTREde dessous terre Jurez !
HAMLET — Bien dit, vieille taupe ! Peux-tu donc travailler si vite sous terre ?
L’excellent pionnier ! Eloignons-nous encore une fois, mes bons amis.
HORATIO — Nuit et jour ! voilà un prodige bien étrange !
HAMLET — Donnez-lui donc la bienvenue due à un étranger.
Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio,
qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie. Mais venez donc.
Jurez ici, comme tout à l’heure, et que le ciel vous soit en aide !
Quelque étrange ou bizarre que soit ma conduite,
car il se peut que, plus tard, je juge convenable
d’affecter une allure fantasque,
jurez que, me voyant alors, jamais il ne vous arrivera,
en croisant les bras de cette façon, en hochant la tête ainsi,
ou en prononçant quelque phrase douteuse,
comme : « Bien ! bien ! Nous savons ! » ou : « Nous pourrions si nous voulions ! »
ou : « S’il nous plaisait de parler ! » ou : « Il ne tiendrait qu’à nous ! »
ou tel autre mot ambigu, de donner à entendre
que vous avez un secret de moi. Jurez cela,
et que la merci divine vous assiste au besoin !
Jurez !
LE SPECTREde dessous terre Jurez !
HAMLET — Calme-toi ! calme-toi, âme en peine ! Sur ce, messieurs,
je me recommande à vous de toute mon affection ;
et tout ce qu’un pauvre homme comme Hamlet
pourra faire pour vous exprimer son affection et son amitié,
sera fait, Dieu aidant. Rentrons ensemble,
et toujours le doigt sur les lèvres, je vous prie.
Notre époque est détraquée. Maudite fatalité,
que je sois jamais né pour la remettre en ordre !
Eh bien ! allons ! partons ensemble !
Ils sortent.
      Entre une palissade et les remparts
Entre le Spectre suivi de Hamlet

HAMLET — Où veux-tu me conduire ? Exprime-toi. Je manque d’aplomb pour pousser plus avant.
GHOST — Note bien mes paroles.
HAMLET — Oui.
GHOST — L’heure s’approche de m’abandonner aux souffrances du Tartare
En descendant dans les tourments de ses sévères feux.
HAMLET — Malheur ! Funeste sort.
GHOST — Ne t’apitoie point sur mon sort ni n’en fais mine, mais prête une attention assidue
À ce dont je me dois de t’informer.
HAMLET — Parle, je n’ai d’autre issue que t’entendre.
GHOST — Tu ne pourras plus que pousser un cri de vengeance
Quand le sel tiré de mon histoire t’aura tiré des larmes.
HAMLET — Que dois-je ouïr ?
GHOST — Je suis l’ombre de ton père,
Condamné pour quelque finalité à déambuler dans la nuit
Et dans les feux du jour à jeûner,
Tant que les crimes odieux commis de mon vivant
N’auront pas été consumés puis expurgés.
Que ne suis-je libre d’éventer les secrets de ma prison,
Je pourrais dérouler un récit dont le plus bénin des mots
Déchirerait ton âme, glacerait ton jeune sang, exorbiterait
Tes yeux comme des astres fixes sortis de leur sphère,
Disjoindrait les anneaux tricotés de ta cotte
Dresserait sur sa base jusqu’au dernier de tes cheveux
À l’image du farouche piquant de l’oursin,
Mais cette sempiternelle geste inépuisable ne saurait
Sans dommage venir à des oreilles de chair et de sang.
Écoute donc, et que tes oreilles en rougissent, écoute moi dire,
Si jamais tu aimas ton tendre père.
HAMLET — Ô Dieu !
GHOST — Venge la façon atroce et contre-nature dont il fut tué.
HAMLET — Tué ?
GHOST — Tué ! Odieuse et bête, aucune mort qui ne le soit,
Mais celle-ci plus encore étrange, odieuse et pleinement contre-nature.
HAMLET — Eclaire-moi sans surseoir, afin qu’avec des ailes aussi agiles
Que spéculations ou idées amoureuses, je courre, vole et me venge.
GHOST — Je te sens prêt. Il te faudrait être plus stupide que les herbes folles
Qui s’engraissent aux berges du Léthé pour ne pas en être remué.
Écoute, Hamlet, désormais : on a laissé accroire que, dormant en mon verger,
Un serpent me tua; c’est ainsi que l’oreille de la cité se trouve égarée
Par un artifice de ma disparition.
Apprends donc ce que jeunesse ne sait encore,
Que le serpent qui ravit la vie de ton père
Porte aujourd’hui sa couronne sur la tête.
HAMLET — Quelle âme prophétique je suis ! Mon oncle !
GHOST — Moisissure ! Cette bête animée par l’adultère et l’inceste,
Oui, lui, l’amant qui par la rouerie de ses tours, par des présents félons, –
Crains le Danois même quand il porte des présents : car
Quel dépit que le prestige d’iniques bienfaits, seulement faits pour tromper –
Gagna le consentement de ma reine s’évertuant en feinte vertu
À la cause de sa méprisable convoitise.
Quelle chute, et comme je me sens las, Hamlet !
De moi, oui moi, dont l’attachement était d’une retenue propre
À s’assortir aux vœux prononcés main dans la main au cours de l’hymen,
Qu’elle s’abaisse jusqu’à tomber sur un pendard aux qualités intrinsèques
Aussi ingrates devant les miennes !
Pourtant, de même que la vertu est assez ferme pour se montrer impassible
Quand des assauts impudiques la courtiseraient sous les dehors des cieux,
De même la débauche est prête à se satisfaire d’une céleste alcôve,
Fût-elle captive de quelque ange radieux, pour y chasser l’immondice.
Mais fais du silence ! Il me semble percevoir l’air de l’aurore,
Aussi dois-je me faire bref. Alangui auprès du mien verger,
Comme d’habitude après les douze heures sonnantes,
En cette heure sereine que de moi ton oncle déroba,
Au moyen d’une fiole d’essence maudite au nom sacré d’Hébé
Pour verser dans la tragique scissure de mes oreilles ce distillat sordide
Dont l’effet est tant adverse au sang que, vif comme le mercure,
Il se répand au travers des portes d’entrée par les voies naturelles
Pour précipiter et coaguler instantanément, comme présure dégouttant sur le lait,
Le sang clair et homogène, et ainsi en alla-t-il du mien,
Une gale m’écorcha immédiatement comme un nouveau Lazare
En recouvrant d’une croûte vile et infecte mon corps à la peau si lisse.
C’est ainsi que je fus, tout endormi, dépouillé par la main d’un frère,
Tout à la fois ravi à la couronne, à la reine et à la vie, cueilli en la fleur du péché même,
Sans confession, privé d’onction, hors la communion,
Dépêché à devoir rendre raison tout chargé du faix de mes travers :
Point de salut à attendre sans m’être pu mettre en règle.
Horrible ! Quel horrible instant ! Plus que superlativement horrible !
Ne laisse pas le sang en toi l’endurer,
Ne laisse pas ce forfait sans lendemain,
Ne laisse pas le lit de Danemark faire litière au stupre et à l’inceste damné.
Mais, de quelque manière que tu t’y prennes,
Ne tente rien contre ta mère, n’y souille pas ton tempérament,
Laisse au ciel le soin du sort de son âme,
Et à la spinule qui gît au tréfonds celui de la fouetter et de la cingler.
Salut à toi Hamlet, je m’en dois retourner à l’instant.
Le ver luisant dit le matin proche en pâlissant encore, lui, ses feux pâles et sans visée.
Adieu, adieu, Hamlet, retiens mes mots.
Il sort
HAMLET — Ô haut hôte du Parnasse, Apollon ! Ô terre ! Quoi d’autre ?
L’y unirai-je aussi, elle ? Ophélie ? Hauts les cœurs !
Ô vous, mes tendons, raidissez-vous sans plier sous l’âge
Et hissez-moi bien haut, moi Hamlet, droit comme fait l’I.
Retenir tes maux ! Sûr, pauvre esprit, tant que mémoire restera
À sa place en ce globe éperdu.
Retenir tes maux ! Sûr, en les tables de ma mémoire je veux essuyer tous les souvenirs vipérins
Toute la science des vieux bouquins, les icônes, les tensions passées
Que jeunesse et observance y inscrivirent pour que ne reste
Dans le grand tome de ma mémoire que ta seule instruction.
Ô plus perfide des femmes !
Vilaine ! Vilaine souriante ! Vilaine vile et scélérate !
Mes tables donc, car il sied que j’y couche ceci :
C’est que l’on peut sourire longuement, et être aussi vilaine.
Du moins suis-je certain que cela est possible à Elsinore.
il écrit gravement
Ainsi donc, cher oncle, c’est bien là que tu en es. Et ma devise qui maintenant sera :
« Adieu, adieu ! Retiens mes mots »
Je suis tenu.
HORATIOEn coulisse Seigneur ! Seigneur !
MARCELLUSEn coulisse Seigneur Hamlet, ne nous abandonnez pas !
HORATIOEn coulisse Que le ciel, au besoin, lui vienne en aide !
HAMLET — Ainsi croit-il !
HORATIOEn coulisse Hohé, hého, seigneur !
HAMLET — Hoho, polisson oisif ! Chemine, fiston, et parviens.
Entrent HORATIO et MARCELLUS
MARCELLUS — Ça va, seigneur ?
HORATIO — Quoi de neuf, seigneur ?
HAMLETGrave À merveille, Horatio.
HORATIO — Parfait, seigneur, dites-nous tout.
HAMLET — N’y compte pas, Horatio, tu l’irais rapporter.
HORATIO — Pas moi, seigneur, par l’Eden.
MARCELLUS — Et moi non plus, seigneur.
HAMLET — Comment taire ? Vous dire, direz-vous ?
Cœur humain pourrait-il, ne fût-ce qu’une fois, rien penser de cela ?
Je me fais de la bile, vous ne saurez pas taire le secret si je le découvre.
HORATIO & MARCELLUS — Si, par l’éther, seigneur.
HAMLET — Il y a un vaurien nouveau pour discourir
Par monts et par vaux de Danemark, mais c’est un coquin fini.
HORATIO — Pas besoin qu’une sorte de fantôme évacue sa tombe
Si c’est pour nous conter ceci.
HAMLET — Comme c’est vrai, c’est troublant ! Tu es bien dans le vrai !
Ainsi, sans plus de cérémonie, je regarde comme approprié
De nous serrer dès maintenant la main pour nous séparer,
Vous deux au gré de vos désirs et obligations
– car chacun est régi par ses propres obligations et ses propres désirs, en l’état –
Tandis que pour ce qui regarde ma pauvre petite part, Horatio,
J’aurai une prière à formuler, vois-tu ?
HORATIO — Seigneur, ce n’est là qu’un maelström de folles paroles.
HAMLET — Je suis fort marri de te voir très outré, de tout cœur ;
Oui, par ma foi, de tout cœur, par deux fois.
HORATIO — Il m’appert qu’il n’y a point outrage, seigneur.
HAMLET — Soit, par Saint Patrick, mais il y a pourtant toute ma rage, Horatio,
Et c’est bien trop doux encore. À l’endroit de cette apparition, je ne peux t’en toucher qu’un mot :
L’honnête fantôme n’a rien pour être honni.
Quant à votre désir commun de connaître ce qui nous lie, vous aurez obligation
De le contenir autant qu’il vous est possible. Et maintenant, mes bons amis,
Puisque vous êtes tout à la fois amis, savants et pertuisaniers,
Soyez assez bons pour accéder à une mienne requête.
HORATIO — Quoi donc, seigneur ? Nous acceptons, c’est accordé.
HAMLET — C’est ne jamais faire savoir ce que vous avez vu
Ces nuits dernières, au val.
HORATIO & MARCELLUS — Point du tout, seigneur.
HAMLET — Non, mais donnez votre parole.
HORATIO — Par ma foi, l’indiscret ne sera pas moi.
MARCELLUS — Moi pas plus, seigneur, par deux fois.
HAMLET — Sur mon arme.
MARCELLUS — Nos paroles sont déjà engagées, seigneur.
HAMLET — En effet, je vous en donne acte, mais pas sur mon fer.
GHOSTDe dessous Promettez.
HAMLET — Holà, garçon ! Tu fais encore l’écho ? Es-tu là, sou vaillant ?
Allons, vous entendez cet altier écho et son babillage des cavernes,
Daignez jurer.
HORATIO — Énoncez l’engagement, seigneur.
HAMLET — Ne jamais livrer en parlant ce que vous vîtes, répondez-en sur l’estoc.
GHOSTDe dessous Promettez.
HAMLET — Ici encore une fois ? Déplaçons donc les fondements de nos propos.
Mettons-nous là, messieurs, et reposez encore le bras sur mon arme pour sceller alliance :
Ne dites jamais ce que vous entendîtes.
Jurez par l’épée.
GHOSTDe dessous Jurez.
HAMLET — Ça c’est parlé, pépère ! Comment peux-tu labourer si la terre est si pressée ?
Un brave mineur ! Ah compagnons, remuons encore un peu pour l’éviter.
HORATIO — Un jour, de nuit, dans la galerie ! Mais comme ces faits sont étranges !
HAMLET — Y étant étranger, c’est raison de plus, Horatio, pour y réserver bon accueil.
Il y a plus de mystères dans la terre et l’éther
Que les philosophes de ta connaissance ne s’en représentèrent.
Mais venons-en au but, ici-même : Jurez que jamais, maintenant comme auparavant,
Et veuille bien votre bienveillance vous y seconder,
De quelque étrange façon que je me puisse comporter,
Car je pourrais prochainement être amené à trouver opportun
D’adopter des dispositions fort peu classiques,
Que jamais donc, m’observant à l’occasion de telles circonstances,
N’aurez tendance, de tels battements des bras ou hochements de tête,
Ou en des circonlocutions ambigües comme ‘Nous le savons sans équivoque’,
‘L’aurions nous su, nous l’aurions pu’, ‘Si nous daignions parler’,
‘Peu s’en faut qu’il faille’ ou toute autre expression entendue,
À donner à croire que vous en sauriez plus ou moins sur moi.
À n’en rien faire qu’à votre tête soient secourables grâce et merci.
Donnez votre parole d’honneur.
Horatio et Marcellus se regardent interdits
GHOSTDe dessous Donnez votre parole de taire de telles paroles
Si elles vous passent par l’esprit.
HAMLETHurlant Silence, esprit dévoyé, disparais sur l’heure !
Ils gagent silencieusement de tenir leur langue
Ah, enfin ! Messieurs, c’est tout à ce bonheur que je me recommande à vous
Et sachez que rien de ce qu’un pauvre hère comme Hamlet peut faire,
Avec l’aide de Dieu, pour vous marquer sa reconnaissance comme sa gratitude,
Ne vous manquera. Partons par là mais restez bouche cousue, je vous prie.
L’heur est comme l’instant sans durée, si se distend le temps restant.
Détresse damnée à nulle autre seconde qu’être né dans le but de l’assortir !
Ou plutôt non, ne parlons pas de ça, et suivez-moi.
Ils se dirigent vers la sortie

dimanche 29 juin 2014

Acte 1 - Scène 4

The platform.
Enter HAMLET, HORATIO, and MARCELLUS

HAMLET — The air bites shrewdly; it is very cold.
HORATIO — It is a nipping and an eager air.
HAMLET — What hour now?
HORATIO — I think it lacks of twelve.
HAMLET — No, it is struck.
HORATIO — Indeed? I heard it not: then it draws near the season
Wherein the spirit held his wont to walk.
A flourish of trumpets, and ordnance shot off, within
What does this mean, my lord?
HAMLET — The king doth wake to-night and takes his rouse,
Keeps wassail, and the swaggering up-spring reels;
And, as he drains his draughts of Rhenish down,
The kettle-drum and trumpet thus bray out
The triumph of his pledge.
HORATIO — Is it a custom?
HAMLET — Ay, marry, is't:
But to my mind, though I am native here
And to the manner born, it is a custom
More honour'd in the breach than the observance.
This heavy-headed revel east and west
Makes us traduced and tax'd of other nations:
They clepe us drunkards, and with swinish phrase
Soil our addition; and indeed it takes
From our achievements, though perform'd at height,
The pith and marrow of our attribute.
So, oft it chances in particular men,
That for some vicious mole of nature in them,
As, in their birth--wherein they are not guilty,
Since nature cannot choose his origin--
By the o'ergrowth of some complexion,
Oft breaking down the pales and forts of reason,
Or by some habit that too much o'er-leavens
The form of plausive manners, that these men,
Carrying, I say, the stamp of one defect,
Being nature's livery, or fortune's star,--
Their virtues else--be they as pure as grace,
As infinite as man may undergo--
Shall in the general censure take corruption
From that particular fault: the dram of eale
Doth all the noble substance of a doubt
To his own scandal.
HORATIO — Look, my lord, it comes!
Enter Ghost
HAMLET — Angels and ministers of grace defend us!
Be thou a spirit of health or goblin damn'd,
Bring with thee airs from heaven or blasts from hell,
Be thy intents wicked or charitable,
Thou comest in such a questionable shape
That I will speak to thee: I'll call thee Hamlet,
King, father, royal Dane: O, answer me!
Let me not burst in ignorance; but tell
Why thy canonized bones, hearsed in death,
Have burst their cerements; why the sepulchre,
Wherein we saw thee quietly inurn'd,
Hath oped his ponderous and marble jaws,
To cast thee up again. What may this mean,
That thou, dead corse, again in complete steel
Revisit'st thus the glimpses of the moon,
Making night hideous; and we fools of nature
So horridly to shake our disposition
With thoughts beyond the reaches of our souls?
Say, why is this? wherefore? what should we do?
Ghost beckons HAMLET
HORATIO — It beckons you to go away with it,
As if it some impartment did desire
To you alone.
MARCELLUS — Look, with what courteous action
It waves you to a more removed ground:
But do not go with it.
HORATIO — No, by no means.
HAMLET — It will not speak; then I will follow it.
HORATIO — Do not, my lord.
HAMLET — Why, what should be the fear?
I do not set my life in a pin's fee;
And for my soul, what can it do to that,
Being a thing immortal as itself?
It waves me forth again: I'll follow it.
HORATIO — What if it tempt you toward the flood, my lord,
Or to the dreadful summit of the cliff
That beetles o'er his base into the sea,
And there assume some other horrible form,
Which might deprive your sovereignty of reason
And draw you into madness? think of it:
The very place puts toys of desperation,
Without more motive, into every brain
That looks so many fathoms to the sea
And hears it roar beneath.
HAMLET — It waves me still.
Go on; I'll follow thee.
MARCELLUS — You shall not go, my lord.
HAMLET — Hold off your hands.
HORATIO — Be ruled; you shall not go.
HAMLET — My fate cries out,
And makes each petty artery in this body
As hardy as the Nemean lion's nerve.
Still am I call'd. Unhand me, gentlemen.
By heaven, I'll make a ghost of him that lets me!
I say, away! Go on; I'll follow thee.
Exeunt Ghost and HAMLET
HORATIO — He waxes desperate with imagination.
MARCELLUS — Let's follow; 'tis not fit thus to obey him.
HORATIO — Have after. To what issue will this come?
MARCELLUS — Something is rotten in the state of Denmark.
HORATIO — Heaven will direct it.
MARCELLUS — Nay, let's follow him.
Exeunt
      La plate-forme.
Entrent Hamlet, Horatio et Marcellus.

HAMLET — L’air pince rudement. Il fait très-froid.
HORATIO — L’air est piquant et aigre.
HAMLET — Quelle heure, à présent ?
HORATIO — Pas loin de minuit, je crois.
MARCELLUS — Non, il est déjà sonné.
HORATIO — Vraiment ? Je ne l’ai pas entendu ; alors le temps approche
où l’esprit a l’habitude de se promener.
On entend au dehors une fanfare de trompettes et une décharge d’artillerie.
Qu’est-ce que cela signifie, monseigneur ?
HAMLET — Le roi passe cette nuit à boire,
au milieu de l’orgie et des danses aux élans effrontées ;
et à mesure qu’il boit les rasades de vin du Rhin,
la timbale et la trompette proclament ainsi
le triomphe de ses toasts.
HORATIO — Est-ce la coutume ?
HAMLET — Oui, pardieu !
Mais, selon mon sentiment, quoique je sois né dans ce pays
et fait pour ses usages, c’est une coutume
qu’il est plus honorable de violer que d’observer.
Ces débauches abrutissantes nous font, de l’orient à l’occident,
bafouer et insulter par les autres nations
qui nous traitent d’ivrognes et souillent notre nom de l’épithète de pourceaux.
Et vraiment cela suffit pour énerver la gloire que méritent
nos exploits les plus transcendants.
Pareille chose arrive souvent aux individus
qui ont quelque vicieux signe naturel.
S’ils sont nés (ce dont ils ne sont pas coupables,
car la créature ne choisit pas son origine)
avec quelque goût escessif
qui renverse souvent l’enceinte fortifiée de la raison,
ou avec une habitude qui couvre de levain
les plus louables qualités, ces hommes, dis-je,
auront beau ne porter la marque que d’un seul défaut,
livrée de la nature ou insigne du hasard,
leurs autres vertus (fussent-elles pures comme la grâce
et aussi infinies que l’humanité le permet)
seront corrompues dans l’opinion générale
par cet unique défaut. Un atome d’impureté
ruine souvent la plus noble substance
par son alliage dégradant.
Entre le Spectre.
HORATIO — Regardez, monseigneur, le voilà !
HAMLET — Anges, ministres de grâce, défendez-nous !
Qui que tu sois, esprit salutaire ou lutin damné ;
que tu apportes avec toi les brises du ciel ou les rafales de l’enfer ;
que tes intentions soient perverses ou charitables,
tu te présentes sous une forme si émouvante
que je veux te parler. Je t’invoque, Hamlet,
sire, mon père, royal Danois ! Oh ! réponds-moi !
Ne me laisse pas déchiré par le doute ; mais dis-moi
pourquoi tes os sanctifiés, ensevelis dans la mort,
ont déchiré leur suaire ! Pourquoi le sépulcre
où nous t’avons vu inhumé en paix,
a ouvert ses lourdes mâchoires de marbre
pour te rejeter dans ce monde ! Que signifie ceci ?
Pourquoi toi, corps mort, viens-tu, tout couvert d’acier,
revoir ainsi les clairs de lune
et rendre effrayante la nuit ? Et nous, bouffons de la nature,
pourquoi ébranles-tu si horriblement notre imagination
par des pensées inaccessibles à nos âmes ?
dis, pourquoi cela ? dans quel but ? que veux-tu de nous ?
HORATIO — Il vous fait signe de le suivre,
comme s’il voulait vous faire une communication
à vous seul.
MARCELLUS — Voyez avec quel geste courtois
il vous appelle vers un lieu plus écarté ;
mais n’allez pas avec lui !
HORATIO — Non, gardez-vous-en bien !
HAMLET — Il ne veut pas parler ici : alors je veux le suivre.
HORATIO — N’en faites rien, monseigneur.
HAMLET — Pourquoi ? Qu’ai-je à craindre ?
Je n’estime pas ma vie au prix d’une épingle ;
et quant à mon âme, que peut-il lui faire,
puisqu’elle est immortelle comme lui ?
Il me fait signe encore ; je vais le suivre.
HORATIO — Eh quoi ! monseigneur, s’il allait vous attirer
vers les flots ou sur la cime effrayante de ce rocher
qui s’avance au-dessus de sa base, dans la mer ?
et là, prendre quelque autre forme horrible
pour détruire en vous la souveraineté de la raison
et vous jeter en démence ? Songez-y :
l’aspect seul de ce lieu donne des fantaisies de désespoir
au cerveau de quiconque
contemple la mer de cette hauteur
et l’entend rugir au-dessous.
HAMLET — Il me fait signe encore.
Au Spectre.
Va ! je te suis.
MARCELLUS — Vous n’irez pas, monseigneur !
HAMLET — Lâchez vos main.
HORATIO — Soyez raisonnable ; vous n’irez pas !
HAMLET — Ma fatalité me hèle
et rend ma plus petite artère aussi robuste que les muscles du lion néméen.
Le Spectre lui fait signe.
Il m’appelle encore.
S’échappant de leurs bras.
Lâchez-moi, messieurs.
Par le ciel ! je ferai un spectre de qui m’arrêtera !
Arrière, vous dis-je !
Au spectre.
Marche ! je te suis.
Le Spectre et Hamlet sortent.
HORATIO — L’imagination le rend furieux.
MARCELLUS — Suivons-le ; c’est manquer à notre devoir de lui obéit ainsi.
HORATIO — Allons sur ses pas. Quelle sera l’issue de tout ceci ?
MARCELLUS — Il y a quelque chose de pourri dans l’empire du Danemark.
HORATIO — Le ciel avisera.
MARCELLUS — Eh bien ! suivons-le.
Ils sortent.
      L'adossement des murailles
Entre Hamlet, ainsi qu'Horatio et Marcellus

HAMLET — L'air, aux heures de la nuit, est rudement mordant ; comme il est froid.
HORATIOFier de sa trouvaille L'air pris est rude, quand l'air se fait très froid et le froid se fait polaire.
HAMLET — Doux heur des mains tenant deux mains !
HORATIO — Heu. . . Non, pas douze encore, je crois.
MARCELLUS — Mais si, bien frappées.
HORATIO — Ah bon ? Je n'avais pas entendu ; ainsi nous sommes
Proches de l'instant où l'esprit fait sa promenade routinière.
Sonnerie de trompettes et salve d'honneur, en coulisse
Seigneur, qu'est-ce ?
HAMLET — Le roi veille ce soir pour donner banquet,
Une sacrée partie, il siffle des lampées étonnantes ;
Et, à mesure que les rasades successives de vin Rhénan s'écoulent,
Tambours et trompettes braillent la superbe de ses laïus.
HORATIO — Est-il coutumier de tel fait ?
HAMLET — Hélas, Mère de Dieu, il l'est bien.
Mais selon moi, qui suis un naturel du pays
Et d'oncques porté à en faire cas, ce sont des manières
Plus honorables à enfreindre qu'a observer.
Ces distractions de fortes-têtes du coucher au lever
Nous feraient bientôt traduire en justice et mettre au ban des nations.
On nous dit soiffards et on souille notre nom
En affublant d’épithètes dégradantes nos ports pourtant bigarrés.
Nos sujets se voient ainsi dépossédés de l'objet
De leurs plus hauts exploits, leur substantifique moelle.
C'est ainsi que souvent certains, souffrant
De quelque vice naturel, comme par exemple
De l'excessive croissance de quelque inclination de naissance
-- dont ils ne sont pas coupables puisque la nature
N'en peut déterminer l'origine -- mettent souvent à bas
Les palissades et les remparts de la raison
Selon quelque habitude qui fait trop bouillonner
La forme des manières acceptables. Ces mêmes sujets,
Portant, dis-je, le sceau d'un défaut comme une
Marque de la nature ou une tare de la fortune,
Devront selon l'opinion générale être corrompus
Par cette faute particulière, leurs autres vertus
Fussent-elles pures comme grâce et aussi infinies
Qu'un homme peut le supporter. Une fiole de mal
Rend toute la noble substance du doute
À son propre scandale.
HORATIO — Regardez, seigneur, le voilà !
Entre le lémure
HAMLET — Anges, envoyés du Beau, faites-vous nos défenseurs ! [ clowns ]
Génie bienfaisant ou lutin infernal,
Porté par l'édénique éther ou l'infernal tonnerre,
Charitable dans tes intentions ou cruel comme géhenne,
Tu revêts un aspect si étonnant qu'il me faut t'éprouver.
Pour moi tu seras Hamlet, Potentat, Père, Danois Monarque, Sire.
À part
Qu'il veuille m'entendre en ses réponses !
Ne me laisse pas déborder d'inculture et fasse le ciel
Que tu m'apprennes pourquoi tes ossements saints,
Ensevelis dans le froid de la terre ont fendu les drapures.
Pourquoi le sépulcre où nous avons veillé à ce que tu reposes en paix
A-t-il entrouvert ses graves maxillaires de travertin
Pour t'expulser encore ? De quel sens est-il
Que toi, corps disparu, Hamlet, chevalier occulte,
Tu altères ainsi la lueur de la lune, toujours en parure d'acier,
Jusqu'à rendre la nuit affreuse, tandis que, pleinement dépités
Par Dame Nature, nous voyons nos positions antérieures
Sapées par des spéculations hors de portée de notre entendement.
Pourquoi ? dis-je. Quel en est l'objet ? Que faire ?
Le lémure hèle Hamlet
HORATIO — Il vous invite à faire un bout de chemin avec lui,
Comme s'il désirait quelque entretien particulier avec vous.
MARCELLUS — Observez avec quelle courtoise réserve
Il vous convie en quelque endroit plus reculé.
Mais ne lui emboîtez pas le pas.
HORATIO — Non, en aucune façon.
HAMLET — Considérant qu'il ne veut pas parler, je vais le suivre.
HORATIO — N'en faites rien, seigneur.
HAMLET — Pourquoi ? De quoi devrais-je m'alarmer ?
Ma vie ne vaut pas un clou et mon âme n'étant en rien
Moins immortelle que lui, que pourrait-il bien lui faire ?
Mais voici qu'encore il ondoie pour me quérir : je dois m'incliner.
HORATIO — Mais s'il vous tendait un piège en vous entraînant
Vers l'onde ou vers le terrifiant sommet de la colline
Dont la protubérance est battue d'écume à sa base
Pour s'incarner sous quelque autre figure effrayante
Et priver votre majesté de toute raison en la séduisant vers la folie ?
Réfléchissez !
Le lieu même est propre à semer, sans motif ni but,
En tout esprit enthousiasmé par la vue du grand large au loin
Comme par le hurlement du ressac à ses pieds,
Les briques sur lesquelles se fondera la mélancolie.
HAMLET — Il me rappelle incontinent.
Passe, je te suis.
MARCELLUS — Ne vous laissez pas entraîner, seigneur.
HAMLET — Écartez vos mains.
HORATIO — Réglez-vous sur la voix de la raison et n'allez pas.
HAMLET — Un destin m'appelle
Et chaque vaisseau de mon corps se tend, oh oui autant
Que le lion de Némée offert par Hercule au héraut Coprée.
Pourtant, je me dois de répondre à l'appel malgré le froid qui me pénètre.
Lâchez-moi dès maintenant, mes bons pages.
Par le ciel, je suis prêt à faire d'autres fantômes pourvu qu'on me lâche !
Place ! Passe, je suis.
Le lémure et Hamlet sortent
HORATIO — La mélancolie enflamme son imagination.
MARCELLUS — Impossible de le laisser tomber ainsi,
Il serait malséant de fléchir devant sa requête.
HORATIO — Tenons-nous à l'écart, du reste.
Que pourra-t-il bien échoir de telle occurrence ?
MARCELLUS — Quelque chose est voué à pourrir en l'état du pays.
HORATIO — Puisse le ciel l'orienter au mieux.
MARCELLUS — Suivons-le quand même.
Ils sortent

samedi 28 juin 2014

Acte 1 - Scène 3

A room in Polonius' house.
Enter LAERTES and OPHELIA

LAERTES — My necessaries are embark'd: farewell:
And, sister, as the winds give benefit
And convoy is assistant, do not sleep,
But let me hear from you.
OPHELIA — Do you doubt that?
LAERTES — For Hamlet and the trifling of his favour,
Hold it a fashion and a toy in blood,
A violet in the youth of primy nature,
Forward, not permanent, sweet, not lasting,
The perfume and suppliance of a minute; No more.
OPHELIA — No more but so?
LAERTES — Think it no more;
For nature, crescent, does not grow alone
In thews and bulk, but, as this temple waxes,
The inward service of the mind and soul
Grows wide withal. Perhaps he loves you now,
And now no soil nor cautel doth besmirch
The virtue of his will: but you must fear,
His greatness weigh'd, his will is not his own;
For he himself is subject to his birth:
He may not, as unvalued persons do,
Carve for himself; for on his choice depends
The safety and health of this whole state;
And therefore must his choice be circumscribed
Unto the voice and yielding of that body
Whereof he is the head. Then if he says he loves you,
It fits your wisdom so far to believe it
As he in his particular act and place
May give his saying deed; which is no further
Than the main voice of Denmark goes withal.
Then weigh what loss your honour may sustain,
If with too credent ear you list his songs,
Or lose your heart, or your chaste treasure open
To his unmaster'd importunity.
Fear it, Ophelia, fear it, my dear sister,
And keep you in the rear of your affection,
Out of the shot and danger of desire.
The chariest maid is prodigal enough,
If she unmask her beauty to the moon:
Virtue itself 'scapes not calumnious strokes:
The canker galls the infants of the spring,
Too oft before their buttons be disclosed,
And in the morn and liquid dew of youth
Contagious blastments are most imminent.
Be wary then; best safety lies in fear:
Youth to itself rebels, though none else near.
OPHELIA — I shall the effect of this good lesson keep,
As watchman to my heart. But, good my brother,
Do not, as some ungracious pastors do,
Show me the steep and thorny way to heaven;
Whiles, like a puff'd and reckless libertine,
Himself the primrose path of dalliance treads,
And recks not his own rede.
LAERTES — O, fear me not.
I stay too long: but here my father comes.
Enter POLONIUS
A double blessing is a double grace,
Occasion smiles upon a second leave.
LORD POLONIUS — Yet here, Laertes! aboard, aboard, for shame!
The wind sits in the shoulder of your sail,
And you are stay'd for. There; my blessing with thee!
And these few precepts in thy memory
See thou character. Give thy thoughts no tongue,
Nor any unproportioned thought his act.
Be thou familiar, but by no means vulgar.
Those friends thou hast, and their adoption tried,
Grapple them to thy soul with hoops of steel;
But do not dull thy palm with entertainment
Of each new-hatch'd, unfledged comrade. Beware
Of entrance to a quarrel, but being in,
Bear't that the opposed may beware of thee.
Give every man thy ear, but few thy voice;
Take each man's censure, but reserve thy judgment.
Costly thy habit as thy purse can buy,
But not express'd in fancy; rich, not gaudy;
For the apparel oft proclaims the man,
And they in France of the best rank and station
Are of a most select and generous chief in that.
Neither a borrower nor a lender be;
For loan oft loses both itself and friend,
And borrowing dulls the edge of husbandry.
This above all: to thine ownself be true,
And it must follow, as the night the day,
Thou canst not then be false to any man.
Farewell: my blessing season this in thee!
LAERTES — Most humbly do I take my leave, my lord.
LORD POLONIUS — The time invites you; go; your servants tend.
LAERTES — Farewell, Ophelia; and remember well
What I have said to you.
OPHELIA — 'Tis in my memory lock'd,
And you yourself shall keep the key of it.
LAERTES — Farewell.
Exit
LORD POLONIUS — What is't, Ophelia, be hath said to you?
OPHELIA — So please you, something touching the Lord Hamlet.
LORD POLONIUS — Marry, well bethought:
'Tis told me, he hath very oft of late
Given private time to you; and you yourself
Have of your audience been most free and bounteous:
If it be so, as so 'tis put on me,
And that in way of caution, I must tell you,
You do not understand yourself so clearly
As it behoves my daughter and your honour.
What is between you? give me up the truth.
OPHELIA — He hath, my lord, of late made many tenders
Of his affection to me.
LORD POLONIUS — Affection! pooh! you speak like a green girl,
Unsifted in such perilous circumstance.
Do you believe his tenders, as you call them?
OPHELIA — I do not know, my lord, what I should think.
LORD POLONIUS — Marry, I'll teach you: think yourself a baby;
That you have ta'en these tenders for true pay,
Which are not sterling. Tender yourself more dearly;
Or--not to crack the wind of the poor phrase,
Running it thus--you'll tender me a fool.
OPHELIA — My lord, he hath importuned me with love
In honourable fashion.
LORD POLONIUS — Ay, fashion you may call it; go to, go to.
OPHELIA — And hath given countenance to his speech, my lord,
With almost all the holy vows of heaven.
LORD POLONIUS — Ay, springes to catch woodcocks. I do know,
When the blood burns, how prodigal the soul
Lends the tongue vows: these blazes, daughter,
Giving more light than heat, extinct in both,
Even in their promise, as it is a-making,
You must not take for fire. From this time
Be somewhat scanter of your maiden presence;
Set your entreatments at a higher rate
Than a command to parley. For Lord Hamlet,
Believe so much in him, that he is young
And with a larger tether may he walk
Than may be given you: in few, Ophelia,
Do not believe his vows; for they are brokers,
Not of that dye which their investments show,
But mere implorators of unholy suits,
Breathing like sanctified and pious bawds,
The better to beguile. This is for all:
I would not, in plain terms, from this time forth,
Have you so slander any moment leisure,
As to give words or talk with the Lord Hamlet.
Look to't, I charge you: come your ways.
OPHELIA — I shall obey, my lord.
Exeunt
      Une chambre dans la maison de Polonius.
Entrent Laertes et Ophélia.

LAERTES — Mes bagages sont embarqués, adieu !
Ah ! soeur, quand les vents seront bons
et qu’un convoi sera prêt à partir, ne vous endormez pas,
mais donnez-moi de vos nouvelles.
OPHELIA — En pouvez-vous douter ?
LAERTES — Pour ce qui est d’Hamlet et de ses frivoles attentions,
regardez cela comme une fantaisie, un jeu sensuel,
une violette de la jeunesse printanière,
précoce mais éphémère, suave mais sans durée,
dont le parfum remplit une minute ;
rien de plus.
OPHELIA — Rien de plus, vraiment ?
LAERTES — Non, croyez-moi, rien de plus.
Car la nature, dans la croissance, ne développe pas seulement
les muscles et la masse du corps ; mais, à mesure que le temple est plus vaste,
les devoirs que le service intérieur impose à l’âme
grandissent également. Peut-être vous aime-t-il aujourd’hui ;
peut-être aucune souillure, aucune déloyauté ne ternit-elle
la vertu de ses désirs ; mais vous devez craindre,
en considérant sa grandeur, que sa volonté ne soit pas à lui ;
en effet, il est lui-même le sujet de sa naissance.
Il ne lui est pas permis, comme aux gens sans valeur,
de décider pour lui-même ; car de son choix dépendent
le salut et la santé de tout l’Etat ;
et aussi son choix doit-il être circonscrit
par l’opinion et par l’assentiment du corps
dont il est la tête. Donc, s’il dit qu’il vous aime,
vous ferez sagement de n’y croire que dans les limites
où son rang spécial lui laisse la liberté
de faire ce qu’il dit : liberté
que règle tout entière la grande voix du Danemark.
Considérez donc quelle atteinte subirait votre honneur
si vous alliez écouter ses chansons d’une oreille trop crédule,
ou perdre votre coeur, ou bien ouvrir le trésor de votre chasteté
à son importunité sans frein. Prenez-y garde, Ophélia, prenez-y garde, ma chère soeur,
et tenez-vous en arrière de votre affection,
hors de la portée de ses dangereux désirs.
La vierge la plus chiche est assez prodigue
si elle démasque sa beauté pour la lune.
La vertu même n’échappe pas aux coups de la calomnie ;
le ver ronge les nouveau-nés du printemps,
trop souvent même avant que leurs boutons soient éclos ;
et c’est au matin de la jeunesse, à l’heure des limpides rosées,
que les souffles contagieux sont le plus menaçants.
Soyez donc prudente : la meilleure sauvegarde, c’est la crainte ;
la jeunesse trouve la révolte en elle-même, quand elle ne la trouve pas près d’elle.
OPHELIA — Je conserverai le souvenir de ces bons conseils
comme un gardien pour mon coeur. Mais vous, cher frère,
ne faites pas comme ce pasteur impie qui
indique une route escarpée et épineuse vers le ciel,
tandis que lui-même, libertin repu et impudent,
foule les primevèresdu sentier de la licence,
sans se soucier de ses propres sermons.
LAERTES — N’ayez pas de crainte pour moi.
Je tarde trop longtemps. Mais voici mon père.
Polonius entre
Une double bénédiction est une double grâce ;
l’occasion sourit à de seconds adieux.
POLONIUS — Encore ici, Laertes ! à bord ! à bord ! Quelle honte !
Le vent est assis sur l’épaule de votre voile,
et l’on vous attend. Voici ma bénédiction !
Il met sa main sur la tête de Laertes.
Maintenant grave dans ta mémoire ces quelques préceptes.
Refuse l’expression à tes pensées
et l’exécution à toute idée irréfléchie.
Sois familier, mais nullement vulgaire.
Quand tu as adopté et éprouvé un ami,
accroche-le à ton âme avec un crampon d’acier,
mais ne durcis pas ta main au contact
du premier camarade frais éclos que tu dénicheras. Garde-toi
d’entrer dans une querelle ; mais, une fois dedans,
comporte-toi de manière que l’adversaire se garde de toi.
Prête l’oreille à tous, mais tes paroles au petit nombre.
Prends l’opinion de chacun, mais réserve ton jugement.
Que ta mise soit aussi coûteuse que ta bourse te le permet,
sans être de fantaisie excentrique ; riche, mais peu voyante ;
car le vêtement révèle souvent l’homme ;
et en France, les gens de qualité et du premier rang
ont, sous ce rapport, le goût le plus exquis et le plus digne.
Ne sois ni emprunteur, ni prêteur ;
car le prêt fait perdre souvent argent et ami,
et l’emprunt émousse l’économie.
Avant tout, sois loyal envers toi-même ;
et, aussi infailliblement que la nuit suit le jour,
tu ne pourras être déloyal envers personne.
Adieu ! Que ma bénédiction assaisonne pour toi ces conseils (5) !
LAERTES — Je prends très-humblement congé de vous, monseigneur.
POLONIUS — L’heure vous appelle : allez, vos serviteurs attendent.
LAERTES — Adieu, Ophélia ; et souvenez-vous bien
de ce que je vous ai dit.
OPHELIA — Tout est enfermé dans ma mémoire,
et vous en garderez vous-même la clef.
LAERTES — Adieu !
Laertes sort
POLONIUS — Que vous a-t-il dit, Ophélia ?
OPHELIA — C’est, ne vous déplaise, quelque chose touchant le seigneur Hamlet.
POLONIUS — Bonne idée, pardieu !
On m’a dit que, depuis peu, il a eu avec vous de fréquents tête-à-tête ; et que vous-même
vous lui aviez prodigué très-généreusement vos audiences.
S’il en est ainsi (et l’on me l’a fait entendre
par voie de précaution), je dois vous dire
que vous ne comprenez pas votre position aussi nettement
qu’il convient à ma fille et à votre honneur.
Qu’y a-t-il entre vous ? Confiez-moi la vérité.
OPHELIA — Il m’a depuis peu, monseigneur, fait maintes offres
de son affection.
POLONIUS — De son affection ? peuh ! Vous parlez en fille verte,
qui n’a point passé par le crible de tous ces dangers-là.
Croyez-vous à ses offres, comme vous les appelez ?
OPHELIA — Je ne sais pas, monseigneur, ce que je dois penser.
POLONIUS — Eh bien ! moi, je vais vous l’apprendre. Pensez que vous êtes une enfant
d’avoir pris pour argent comptant des offres
qui ne sont pas de bon aloi. Estimez-vous plus chère ;
ou bien, pour ne pas perdre le souffle de ma pauvre parole
en périphrases, vous m’estimez pour un niais.
OPHELIA — Monseigneur, il m’a importunée de son amour,
mais d’une manière honorable.
POLONIUS — Oui, appelez cela une manière ; allez ! allez !
OPHELIA — Et il a appuyé ses discours, monseigneur,
de tous les serments les plus sacrés.
POLONIUS — Bah ! piéges à attraper des grues ! Je sais,
alors que le sang brûle, avec quelle prodigalité l’âme
prête des serments à la langue. Ces incandescences, ma fille,
qui donnent plus de lumière que de chaleur, et qui s’éteignent
au moment même où elles promettent le plus,
ne les prenez pas pour une vraie flamme. Désormais, ma fille,
soyez un peu plus avare de votre virginale présence ;
ne ravalez point votre conversation
à des pourparlers de commande. Quant au seigneur Hamlet,
ce que vous devez penser de lui, c’est qu’il est jeune,
et qu’il a pour ses écarts la corde plus lâche
que vous. En un mot, Ophélia,
ne vous fiez pas à ses serments ; car ils sont, non les interprètes
de l’intention qui se montre sous leur vêtement,
mais les entremetteurs des désirs sacriléges,
qui ne profèrent tant de saintes et pieuses promesses
que pour mieux tromper. Une fois pour toutes,
je vous le dis en termes nets : à l’avenir,
ne calomniez pas vos loisirs en employant une minute
à échanger des paroles et à causer avec le seigneur Hamlet.
Veillez-y, je vous l’ordonne, passez votre chemin.
OPHELIA — J’obéirai, monseigneur.
Ils sortent
      Une pièce dans les appartements de Polonius
Entre LAERTE puis OPHELIA

LAERTE — Mon attirail est chargé, je file.
Et au gré de bises propices, ma soeur, si les transports sont fastes, pas question de sombrer
Dans le sommeil ni même de t’assoupir : ne laisse pas de m’envoyer des nouvelles.
OPHELIA — Te fais-tu quelque alarme, Laertes ?
LAERTE — S’agissant d’Hamlet et de ses bonnes grâces versatiles,
Ne te figure rien d’autre que passades, quelques jeux privés de sens,
Une modeste violette rougissant dans le premier bourgeon de sa jeunesse,
D’agréables auspices mais sans conséquence, quelques instants d’exhalaison des sens,
Doux mais sans conséquence. Sans plus.
OPHELIA — Sans conséquence ? Mais encore ?
LAERTE — Sans conséquence donc n’y pense plus.
Car un corps, en croissant, se développe, outre en taille et en musculature,
Par l’office, croissant au fur des temps, que rend l’âme à la raison,
À mesure que s’étend le havre l’abritant naturellement.
Sans doute Hamlet t’aime-il pour l’instant,
Quand ni tour ni tache ne vient encore flétrir
La continence de son empire sur lui-même. Mais appréhende que,
Une fois prise la mesure de son importance,
Il perde la maîtrise de sa volonté,
Car il reste assujetti à son extraction
Et ne saurait donc, au contraire de bougres sans envergure,
Se déterminer par lui-même puisque de son arbitrage dépend que tant de troubles
Soient écartés par bonne police pour assurer un état de plein bien-être.
Voici pourquoi ses projets ne peuvent se voir que modérés par les voix
Exprimant les désirs du corps politique dont il est partie capitale.
S’il s’exalte à dire qu’il t’aime, il appartiendra à ta retenue
De n’ajouter foi à son discours qu’autant que ses actes et son état
Sont en mesure de donner substance à ses engagements, et donc
Nécessairement en deçà de ce que peut permettre la première voix du pays.
Pèse donc avec minutie quel préjudice peut endurer ta vertu,
Si tu accordes trop d’ouïe à son ramage, ne tempères pas assez tes élans,
Ou laisses que tes platoniques aspirations
Subissent de lui un assaut importun et mal dominé.
Rougis d’effroi, ma soeur, rougis d’angoisse, exquise Ophélie,
Et tiens-toi à l’arrière-garde de ces tendres penchants,
Loin des chocs et des hasards de ses prétentions,
Car la jouvencelle la plus avisée est assez prodigue de sa beauté
Quand bien même elle ne l’affiche que nuitamment.
Et puisque la vertu ne saurait se dispenser par elle-même d’insinuantes caresses,
De même que les jeunes pousses se laissent trop souvent gagner par les démangeaisons
Quand surgit le chancre du printemps avant l’éclosion des boutons,
Et les éruptions contagieuses ne sont jamais plus proches qu’en la matinale rosée de la jeunesse.
Si défiance est mère de sûreté, alors pourquoi n’être pas vigilant à l’égard de
Cette jeunesse disposée à se rebeller, fût-ce contre elle-même, si personne n’est alentour.
OPHELIA — Je m’apliquerai à tirer leçon de cet enseignement sans faute,
Comme vigie à l’affût selon mon coeur. Pourtant, bien cher frère,
Sois assez bon pour ne pas me dépeindre
La voie qui conduit vers les cieux comme épineuse et roide,
À l’imitation d’incivils ministres du culte maculant,
À l’image de l’inconséquent et infatué libertin,
Les sentes primesautières d’innocentes bluettes qu’ils foulent au pied,
Au lieu de se régler sur leurs propres remontrances.
LAERTE — Tel n’est point mon calcul.
Mais voici père qui s’avance. J’aurais déjà dû prendre congé.
Entre POLONIUS
C’est douceur à nulle autre seconde que ce second salut, père,
Puisque la circonstance fleure bon un appareillage opportun.
POLONIUS — Tu es là, Laertes ! À bord, à tire-d’aile ! Branle-bas, Bon Dieu !
Le vent soulevant les voiles épaule ton voyage,
Et tu te fais attendre. Allons, ma bénédiction, Adieu, salut à toi !
Ah ! Que ces quelques devises à te rappeler servent ta personne :
Ne t’abaisse pas à exprimer oralement tes idées,
Ni à transformer en acte quelque projet hors de mesure.
Tu peux te montrer cavalier, mais sous aucun prétexte trivial.
Des tiennes amitiés une fois le bien-fondé attesté puis ratifié,
Scelle chacune en ton âme comme par des arceaux d’airain,
Mais n’use pas ta plume à ébaudir le premier venu un peu desgourdi. N’entre guère
En dispute, mais, une fois pris dedans, fais en sorte que l’on se garde de toi.
Prête l’ouïe à chacun, mais ne sois pas bavard ;
De chacun prends l’opinion, mais réserve tes arrêts ;
Choisis l’habit aussi prospère que ta bourse le permet,
Mais sans ostentation : opulent sans être dispendieux,
Car souvent c’est par la mise que l’homme se dévoile,
Ainsi à Troyes, en France, tout quidam d’élite et d’agréable maintien
Se tient pour maître en choix d’opulents beaux atours.
Après cela, ne sois jamais ni quêteur ni bailleur, mon fils,
Car le prêt fait souvent perdre la mise et l’ami,
Tandis que l’emprunt émousse en esprit le fil du bon père.
Mais par dessus tout mets-toi ceci en tête :
N’admets aucune faille à ta probité envers toi-même,
D’où il s’ensuit, aussi clairement que la nuit suit le jour,
Que tu n’auras qu’une seule et même loyauté envers chacun.
Sur ce, bon vent ! Mijote ceci pour en faire, avec mon absolution, le meilleur fruit.
LAERTE — J’accepte ce qui m’est imparti avec déférence, père, et je dois faire voile.
POLONIUS — Pars, la saison s’y prête, et vite, ne laisse pas tes domestiques se languir.
LAERTE — Au plaisir, Ophélie. Et puise bien la réminiscence de mes paroles à ta mémoire.
OPHELIA — Elles sont bien consignées au fond, et je t’en confie
La clé afin que tu la puisses remiser par-devers toi.
LAERTE — Bien, bien. Je file.
Exit Laerte
POLONIUS — Douce Ophélie, qu’est-ce donc que ce dont
Il te faisait part pour ton dépit avant son départ ?
OPHELIA — Des histoires au sujet d’Hamlet, pardonnez-moi.
POLONIUS — Par la Vierge, quelle bonne idée !
Je ne te cache pas ce qu’on m’a laissé entendre, ma fille :
Il t’aurait, de fraîche date, octroyé quelques tête-à-tête de caractère privé,
Et tu te serais montrée, de ton côté, fort libérale et généreuse de tes audiences.
S’il en est ainsi -- comme on a pu me le glisser,
À titre de précaution -- je me vois astreint à t’exposer à quel point
Tes conceptions sur toi-même reposent sur des socles pervertis
Qui siéent aussi peu à ma fille qu’à ton honneur.
Que se passe-t-il entre vous ? Crache le morceau !
OPHELIA — Il m’a donné récemment, père, des gages tangibles
De son inclination à mon égard.
POLONIUS — Inclination ! Bah ! À part Elle persévère à pérorer
Comme un bourgeon de jeune pousse, elle, si mal habituée à passer par pareil tracas.
À Ophélia Et tu comptes sur des gages de sa part, comme tu as tenu à les baptiser ?
OPHELIA — Je n’entends pas, père, ce qu’il faut en penser.
POLONIUS — Vierge Marie, laisse que je te gourmande !
Réalise que tu ne peux qu’être tout bébé, pour voir ainsi bon salaire en ses gages
Qui ne sont pas frappés au coin du bon sens. Crible tes inclinations plus sagement
Sans quoi -- Non pour claquer la bise au ‘pun’ mais au contraire pour lui clouer le bec --
J’inclinerai à te prendre pour plus sotte qu’hulotte.
OPHELIA — Il ne s’est montré importun, père, que de la plus honorable manière,
Car il est un homme honorable.
POLONIUS — La manière, plaidez-vous avec art ? Des manières de mes deux, oui !
OPHELIAÀ part Hélas, grands Dieux, quelle élégance se perd !
À Polonius Il adossait son propos, père, d’adresses à la nuée presque entière.
POLONIUS — Appeau de coucou, attrape-Barge, oui ! Car je sais,
Quand le sang s’échauffe, de quels excès le cœur peut autant nourrir ses haut-cris,
Mais ces éclats, douce Ophélie, plus fulgurants que réellement chaleureux,
S’éteignent d’eux-mêmes, car ils n’ont été que leurres depuis leurs présages
Que tu ne dois pas prendre pour effusions sincères, et c’est pourquoi tu devras veiller,
De l’instant même, à te faire de ta jeune présence un peu plus regardante ;
Quant à tes bontés, pourvoie les seulement à des prix
Autrement élevés qu’une simple demande d’entretien.
Au sujet du Prince Hamlet en particulier, ne néglige pas qu’il est est jeune
Et peut aller en paix se flattant d’une longe plus étendue que tu ne saurais l’avoir,
Et en un mot comme en cent, pour finir, Fifi ma fille, ne te fie plus dorénavant
À ses prières qui ne sont que de façade, ne revêtant que la couleur, fût-elle grand-teint,
Des attachements qu’elles affichent, pour prétendre à d’injustes desseins,
Ne voilant de laids projets sous de saintes aspirations que pour mieux donner le change.
Tu n’envisagerais pas que de tels entretiens se fissent au vu et au su de tous,
C’est pourquoi je ne voudrais pas qu’en longues conversations
Tu te laisses soutirer par Hamlet des moments privés.
Tu seras bien éclairée d’y veiller. Allez, je te libère, ma fille.
OPHELIA — Vous serez obéi, père.
Ils se séparent